Les spores s'abattaient sur le sol comme autant de locustes putrides, éclatant à l'impact lorsqu'elles entraient en contact avec le sol, dans des bruits écœurants de succions répugnantes et glaireuses. L'air lui-même était saturé de micro-organismes d'une couleur de coquelicots étrangement belle, qui n'était pas sans rappeler le destin funeste de ceux qui faisaient ne serait-ce qu'en respirer un trop grand nombre. L'air lui-même avait un aspect... malade. Déjà les très nombreux points d'eau de la jungle encore luxuriante s'étaient teintés de cette horrible couleur verdâtre de boue infectée. Il en sortait occasionnellement des créatures parasitées qui agonisaient avant de s'effondrer, faibles et pitoyables.
A chaque impact d'une nouvelle spore, le sol semblait se plaindre et gémir, déchiré par l'impact et corrompu par la nature de son envahisseur qui le souillait. Ils étaient si nombreux... Des dizaines de milliers depuis moins d'une heure. Des millions si cela devait s'éterniser.
Des meutes dépourvues de leaders avançaient à l'instinct, au pas de course permanent, se jetant sur tout ce qu'elles pouvaient trouver qui n'était pas de leur race. Certains des rares animaux de cette jungle qui n'étaient pas parvenus à s'enfuir tentaient parfois vainement de résister. Un jaguar de Kolanth rendu fou par la terreur et le fait d'être acculé choisit de se jeter à la gorge de l'un d'eux, parvenant dans un saut gracieux à mettre un peu de distance entre lui et le reste de cette meute haïssable. Il parvint à plonger ses crocs démesurés dans ce qui semblait être la gorge de la bête étrange la plus proche, recouverte d'une carapace solide et trop difficilement pénétrable. Ses pattes avant étaient de véritables faux, qui s'abattirent sans pitié sur le félidé qui n'eut pas le loisir de hurler, déchiré en trois morceaux distincts par cette créature qu'il pensait avoir tué sans ne serait-ce que s'en être approché.
Dans une rivière proche, des reptiles sauriens connus sous le nom de Crastocks avaient été plus épargnés par les spores, leur mode de vie presque exclusivement sous marin leur ayant épargné d'avoir à trop en souffrir. Lorsque les créatures plongèrent dans leur territoire aquatique, ils se ruèrent sur eux, usant de leurs doubles mâchoires aux proportions infernales pour réduire en miettes ces créatures importunes. La petite meute fut anéantie, pour être immédiatement remplacée par trois autres comptant le double de créatures.
Pour un être doué d'une nature que l'on aurait pu qualifier de divine, ces ennemis auraient été quantifiables.
Pour n'importe quelle autre créature de la galaxie, ils étaient innombrables. Leur invasion : infinie. Littéralement.
***
Taros aurait voulu cracher au sol, mais il ne le pouvait pas : enlever son masque signifiait crever, sans même avoir eu à combattre. C'était sans doute l'une des pires choses dans la nature de l'ennemi. Une seule, parmi tant d'autres.
Lorsqu'on l'avait renseigné sur la nature de son futur déploiement, il avait immédiatement accepté l'idée que c'était sans aucun doute son dernier. Non pas que le soldat fut d'une nature pessimiste, ou trop vieux pour se croire en plein baroud d'honneur. Au contraire, expérimenté, il figurait parmi l'élite d'un régiment qui avait fait ses preuves de nombreuses fois.
Ouais, se dit-il en esquissant sous son masque à filtre un sourire triste,
j'en ai vu du pays...
Les Orks ? Brutaux, puissants, imprévisibles, ça gueule, mais bon... Quand on est assez nombreux, ça se gère. Les Eldars ? Rapides, terrible puissance de feu, ignobles embuscades, mais fragiles... ça se gère.
Les rebelles ? Rien que des humains. Gérables. Les corrompus ? Plus tendus, pour sûr, mais ils crèvent aussi bien que n'importe qui avec une bonne décharge dans la trombine. Gérables. Plus tendus, mais gérables.
Mais ça... Ces... trucs !A près de quarante-quatre ans, Taros avait toujours pensé que sa vie se terminerait sur un champ de bataille. Le fait de bénéficier d'une bonne armure de très haute qualité pour des standards de la Garde Impériale ne l'avaient jamais convaincu qu'il en serait autrement pour lui. Il savait que ce n'était pas impossible. Que parfois des enfoirés de veinards héritaient d'un monde tout juste purgés d'une menace et en devenaient les nouveaux patrons, y crevant joyeusement de vieillesse en regardant grandir les chiards qu'ils avaient fait aux femmes locales, ou importées pour un nouveau peuplement. Possible, oui. Mais combien y accédaient, à cette fin si paisible, quand tant d'autres devaient mourir ? Pas assez pour que Taros ait jamais estimé avoir ses chances. "
Un Garde, ça crève, point. Les autres, on appelle ça "une putain d'exception" dans le jargon militaire, ouep !"
L'idée ne le dérangeait pas. Il avait beau appartenir à un régiment prestigieux, sa nature terre-à-terre lui avait toujours permis d'accéder à une forme de froideur dans ses raisonnements, qui avait amené ses supérieurs à le considérer comme un homme de bon conseil, pragmatique. Il était passé sergent. Il était passé lieutenant. Il était passé colonel. La belle affaire. Les trucs qui allaient pas tarder à leur arriver sur le poil se foutaient de son grade.
Un son, une voix, saturée de parasites, commença a faire crépiter l'intercom dans son casque verrouillé. Il porta la main à l'emplacement de sa tempe et tapota doucement la couche de céramite comme si cela allait aider la liaison à être plus nette. Ces radios à ondes courtes étaient infiniment précieuses pour que les troupes au sol puissent agir en bonne intelligence. Taros ne les appelait pas moins "saloperies" à tout bout de champ.
Ouais, saloperies d'ondes courtes.L'ordre finit par être répété de façon intelligible, et il répondit par l'affirmative d'un unique mot sec et bref. Il commença alors à brailler pour le millier d'hommes qui était sous sa charge, ceux-ci se préparant à recevoir l'ennemi avec l'entièreté de sa puissance de feu et une organisation qui avait fait ses preuves au court de décennies de services.
Discipline. Foi en l'Empereur. Haine. Rage de vaincre. Expérience. Confiance en soi, et en ses frères d'armes. Des valeurs qui ne suffiraient pas. "
Probablement pas", se corrigea-t-il pour cette réflexion pessimiste et pragmatique frôlant le manque de confiance envers le Trône d'Or.
La lisière des arbres située à quelques centaines de mètres devant eux commença à frémir sur plusieurs dizaines de mètres, comme si les arbres allaient se déraciner et venir marcher vers eux. Des hurlements qu'aucune gorge n'aurait dû permettre de pousser dans un monde digne de ce nom se firent entendre. Ses hommes eurent comme un vacillement mais n'esquissèrent pas le moindre geste. Les rafales seraient disciplinées et contrôlées jusqu'à ce que l'ennemi arrive dans leur position retranchée. Jusqu'à ce que les préfabriqués cèdent...
D'un seul coup, avec une soudaineté irréelle, ils jaillirent de la jungle en une multitude infinie et porteuse du plus complet désespoir.
Infinie ; infinie ; infinie...
Feu ! hurla-t-il à sa ligne de bataille, éprouvant un plaisir certain à voir des milliers de ces horreurs éclater sous les impacts des fusils, des tourelles, des canons et des obus, tout en sachant que ce ne serait jamais suffisant.
Il épaula son arme et commença à tirer en visant les plus grosses bestioles qu'il pouvait voir dans sa lunette de visée, donnant le plus souvent des ordres aux unités de char restées en retrait afin qu'elles redirigent leur puissance de feu vers les cibles à priorité plus immédiate.
Rapidement, il constata que les créatures ne parvenaient pas à passer, ni même à s'approcher de sa ligne de bataille. Il n'en fut pas rassuré un seul instant.
Ils nous testent, pensa-t-il,
comme le général l'avait dit.C'était faux.
D'un espace laissé vide afin de permettre à certains chars Leman Russ de manœuvrer le sol éclata dans une apocalyptique gerbe de pierre, d'acier, de terre et de béton défoncés, et au cœur de leur retranchement, une des bestioles jaillit en criant assez fort pour que les soldats à portée immédiate perdent définitivement une partie de leur audition, malgré leurs casques munis d'une protection acoustique.
Taros la regarda, abasourdi. Il avait eu des holopics sur sa tablette de donnée, au briefing de la veille. Il y avait un nom pour ce truc immense, plus grand que deux chars empilés, au corps serpentin, et aux bras comme des faucilles capables de défoncer du blindage comme une épée énergétique coupe du bois fin. Un nom qu'il ne parvenait pas à se rappeler, pour ce que ça pouvait changer.
Il hurla de nouveaux ordres, chargeant les rares unités de réserve de prendre immédiatement cette menace pour cible. Puis il regarda la ligne de bataille, et constata que le flux permanent de bestioles qui avait un instant semblé diminué reprenait de plus belle, s'en prenant désormais avec un bien meilleur instinct aux zones les plus faibles du retranchement.
De son fusil, il parvint à faire éclater un des yeux de l'immense saloperie qui venait de faire irruption dans son camp, et la créature braqua celui qui lui restait vers le colonel qui sentit ses entrailles se liquéfier. Elle avança alors dans sa direction à une vitesse qui aurait dû être rendue impossible par sa taille. Souriant, sans trop savoir pourquoi, le colonel dégaina son épée énergétique et se prépara à esquiver la charge du monstre.
Quelque chose en lui le poussa à penser : "
Ci-git le colonel Edmond Taros, du 24ème Shwalandien, tué par les Tyranides."
Et la vague ennemie arrivait, à l'infini.