C’était comme être frappé à l’âme et le ressentir dans le corps. L’esprit était déchiré, le mental broyé, et la conscience envahie par des visions ininterrompues de mort et de génocides. Innombrables, et tous ressentis individuellement, chacun à leur tour, à la vitesse de la pensée.
Dans les vaisseaux humains ayant été frappé par la vague psychique libérée par le Sépulcre, les équipages avaient été littéralement soufflés par des visions d’horreur que nulle discipline ou entrainement aurait pu contenir. Il aurait été difficile de les en blâmer ; vivre éveillé mille rêves de mort et de souffrance n’était pas une chose à laquelle la Navis Nobilite pouvait préparer.
Plusieurs astropathes étaient morts en hurlant ; d’autres étaient encore prostrés, gémissants, en état de choc. Certains autres étaient devenus fous, et avaient dut être abattus par précaution par ceux qui avaient encore la force mentale de commettre un meurtre après ces visions d’apocalypse.
Dans son ensemble, la flotte impériale avait été laissée sous le choc, bien que les vaisseaux les plus éloignés du champ d’émission de la vague psychique soient presque restés intégralement opérationnels. Là où les commandants étaient les plus charismatiques (ou craints) s’étaient trouvés, il n’y avait pas eu de conséquence autre qu’un malaise certain.
Les vaisseaux les plus proches du point d’émission, eux, avaient été désemparés comme s’ils avaient été victime d’une avarie mécanique désastreuse.
L’amiral de la flotte, Dresmond Liuke, avait ordonné que l’on envoie des troupes depuis les vaisseaux valides vers ceux ayant le plus de difficultés. Ou ceux, heureusement plus rares, qui ne répondaient pas du tout. Se départir de soldats de valeur pour les envoyer au milieu d’un champ de bataille spatial relevait souvent de la mesure désespérée, surtout lorsque l’on risque d’être soi-même abordé par la suite et que chaque homme peut alors compter. Mais s’ils ne pouvaient ne serait-ce qu’accélérer la remise du contrecoup psychique dont étaient victimes les membres de vaisseaux si précieux, pour ne pas dire cruciaux, cela en valait certainement la peine. Du reste, au sein de la flotte Tyranide, les choses semblaient encore pires.
Des milliers de chasseurs dérivaient dans le vide, comme des poissons morts ballottés par les flots calmes d’un bassin contaminé. Les vaisseaux de plus grande taille, eux, étaient sujets à des comportements difficiles à décrire autrement que par « erratiques » et « incohérents ». Ils semblaient poursuivre leurs attaques comme l’aurait fait une bête soudainement aveuglée, frappant au hasard, les plus gros étant les seules exceptions.
L’amiral Liuke prenait donc un risque doublement calculé, en plus de l’ordre qu’il s’apprêtait à donner.
Un messager arriva vers lui, essoufflé, ayant manifestement couru sur une longue distance avant de lui répéter un message que les communications internes n’avaient pas pu transmettre à cause de sérieuses avaries sur les terminaux de la noosphère interne et les consoles de commande radio. Il avait avec lui une tablette de donnée dont l’écran était instable et grésillant, mais lisible malgré tout.
Dresmond Liuke avait été un jeune sous-officier plein d’espoirs et d’ambition. Il avait servi comme simple agent de pilotage, avant d’hériter d’un poste de lieutenant puis d’un titre de capitaine de son propre vaisseau. Il avait juré pouvoir mourir heureux quand ses états de service, son authentique courage et son sens du dévouement l’avaient amené au poste de commodore. Bénéficiant de régimes réjuvénants coûteux ayant récompensés son excellence par une vie bien plus longue que la moyenne, il avait vécu assez longtemps pour voir et affronter bien plus d’horreurs que le commun des mortels. Vice-amiral, puis amiral, enfin, il atteignait le sommet d’une carrière qui l’avait mené dans des régions bien sombres de la galaxie, où il avait cru tout voir, et tout entendre.
Pourtant, lorsqu’il lut ce que la tablette de donnée indiquait, il leva un sourcil incrédule, avant de demander au jeune mousse :
- C’est ce qu’il a dit mot pour mot ?
- Absolument amiral. Il a d’ailleurs insisté sur la formulation.
- Très bien, mon garçon, dit distraitement l’officier humain en se tournant vers ses cartes et ses modules. Retourne à ton poste.
Si le jeune homme avait remarqué que le chef suprême de la flotte avait d’un seul coup terriblement pâli, il n’en avait rien laissé paraitre.
- Mettez moi en communication avec toute la flotte, et faites relayez ça par les astropathes aussi, quitte à ce qu’ils en crèvent, dit froidement l’officier supérieur. Et faites le répéter en boucle jusqu’à ce que tout le monde ai répondu.
Le silence pesant de la passerelle était en soi une réponse affirmative à cet ordre.
- De l’amiral Dresmond Liuke à tous les fidèles serviteurs de l’Empereur, loué soit-Il, ceci est un message prioritaire. Nous changeons de tactique avec effet immédiat. Reconfiguration en formation A17-0-23 ; nous quittons la position défensive. Je répète, nous quittons la position défensive ! Avancez vers eux et isolez les plus faibles déjà désemparés pendant qu’ils ne peuvent se défendre ! N’ouvrez le feu sur les vaisseaux nécrons que s’ils attaquent les premiers. Concentration absolue sur la menace Tyranide !
Le message fut transmis et répété, encore et encore, alors que le vaisseau retrouvait un semblant d’aplomb et d’ardeur à dispenser la mort aux infâmes xénos.
Le lieutenant Icabod Fayn regardait son amiral avec une admiration teintée d’incompréhension, et ce ne fut qu’au bout d’interminables minutes qu’il se décida à poser la question qui le rongeait.
- Mon amiral… Cette tablette de donnée venait bien de la salle des astropathes ?
- C’est exact, répondit l’officier, toujours aussi pâle.
- C’est… c’est ce message qui motive votre décision, mon amiral. Que pouvait-il bien dire pour…
D’un simple regard, l’amiral Liuke fit comprendre à son second qu’il dépassait les bornes et que ces questions frôlaient l’impertinence.
Néanmoins, il ne put s’empêcher de répondre, prononçait à voix basse une phrase qui était plus pour lui-même que pour son second.
- L’Esprit de la Ruche, commença-t-il faiblement. Il… il est fracturé…
***
Il jouait avec ses soldats de bois, et il en était heureux. Sa mère s’affairait à préparer une soupe nourrissante riche en graisse d’animaux pêchés par son père. Celui-ci n’était pas encore là, mais il n’allait pas tarder. L’hiver permanent qui poussait les gens d’ici à faire preuve d’un tempérament rude n’avait jamais pu totalement endiguer ce besoin qu’avait l’humanité de faire preuve d’une chaleur bienveillante envers les membres de sa communauté.
- Ce sera bientôt prêt, dit la mère en regardant la marmite fumante, d’un ton sous-entendant qu’elle ne tolèrerait pas le moindre retard, jeu ou pas.
Le petit garçon fit comme s’il n’avait rien entendu. Il savait qu’elle savait qu’il avait compris, alors il ne voulait pas perdre un instant de cette récréation à laquelle il avait si peu souvent accès. Même très jeune, il fallait se mettre au travail vite dans cette région.
La figurine de bois sculpté avec des ailes était sa favorite. Elle devait pouvoir voler puisqu’elle avait des ailes ; elle dominait donc toutes les autres. C’était la plus forte. L’une d’elle était à moitié mécanique, et il ne l’aimait pas beaucoup, mais il savait faire preuve d’imagination à son égard ; elle devait sûrement pouvoir actionner des machines très compliquées, mais il préférait de très loin celle avec la très grande épée, qui donnait l’impression d’être la plus intrépide, la plus puissante ! Celle qui avait des griffes était trapue, faite pour bondir ! Il l’imaginait tel un fauve couvrir les arrières de celui qui brandissait un poing démesuré, sans doute volé à un géant des glaces. La dernière était spéciale, cassée, mais réparée par son père qui lui avait sculpté deux nouvelles jambes après qu’il les eut brisées en la faisant tomber de la cheminée. Il l’aimait bien, car il imaginait que c’était celle qui pouvait courir le plus vite ! Il en prenait soin. Ces jouets étaient sa joie de vivre, son univers. Quand il les avait avec lui, tout allait bien.
***
« Antipsykers », « esprits négatifs », « âmes du Vide », « néant du mental »… Tous ces termes avaient été utilisés pour définir les nécrons par diverses espèces au fil des millénaires de guerre sans fin livrés par la race la plus meurtrière de la galaxie. Chacun, à sa manière avait sa pertinence. Mais il aurait été basiquement illusoire d’espérer que l’énergie psychique soit
intégralement ignorée par cette race. Qu’était l’énergie psychique ? Une force liée au Warp, certes, mais une force avant tout. Que les nécrons aient sciemment choisi d’ignorer une certaine forme d’énergie, quelle qu’elle soit, revenait à espérer que des orks choisissent de ne pas faire usage d’une certaine forme de brutalité, ou que des eldars ignorent un certain type de fourberie.
Ce n’était pas dans leur nature.
Le Warp réagissait si fortement aux horreurs, aux violences, aux massacres et aux tueries… Le Warp réagissait si bien aux exactions des nécrons… que ceux-ci le veuillent ou non. Dès lors n’était-il pas logique que ceux-ci, à défaut de domestiquer le Warp, parviennent à concentrer l’essence des massacres dont ils étaient responsables. La concentrer, comme une énergie pure, de la façon la plus basique possible, dénuée de toute réelle maîtrise et de toute notion de contrôle et de raffinement. Réunir dans un accumulateur l’essence de millénaires de souffrances, de terreurs et de haines. La concentrer, la confiner, la forcer à la pression la plus extrême…
Puis libérer l’onde, au cœur des flottes ennemies.
Les autres races, si fières de leurs capacités à ressentir, ne pouvaient alors que maudire jusqu’à l’essence même de leur génome, simplement parce qu’il leur permettait de ressentir cette abomination.
Plus compliqué encore était cette notion pour les Flottes-Ruches. L’Esprit de la Ruche était une conscience commune, une âme partagée par des milliards d’autres, à la fois partie intégrante d’un tout et fractions réceptrices. Recevoir pareille vague… C’était s’attaquer au psychisme individuel de chacun d’entre eux, rompant la cohésion assurée par les créatures synapses alors bien en peine de relayer quoi que ce soit. Seules les créatures les plus résistantes pouvaient continuer de coordonner leurs troupes, et seuls les plus puissants vaisseaux pouvaient garder leur mental parfaitement intactes.
Mais au sein d’une ombre répandue dans le Warp, une explosion brutale venait de déchirer par endroits les voiles ténébreux.
Basiquement, les nécrons avaient amenés la lumière dans une pièce plongée dans le noir, où une simple bougie aurait déjà irradié comme un soleil ; « avec un putain de bâton de dynamite », comme le décrirait le navigator Isadur Calixian dans son rapport officiel.
A l’intérieur du Vaisseau-Mère, le Maîtres des Essaims avait encaissé la vague psychique avec une endurance qui aurait pu forcer le respect, si pareille pensée à l’égard d’un xénos n’avait pas été hérétique. Sa résistance et sa capacité à faire passer sa faim haineuse de toute chose avant l’innommable douleur qui lui avait été infligée avait permis que ses troupes ne soient « que » ralenties ; temporairement.
Cela avait néanmoins permis aux nécrons de prendre l’ascendant en s’emparant d’une bonne moitié de l’immense salle dans laquelle tous se trouvaient. Ils avaient dégagé un espace depuis lequel les téléportations étaient continuelles, ce qui leur permettait de commencer à encercler le caisson, peu à peu, ayant de plus en plus de troupes pouvant se permettre, pour quelques secondes à peine, d’ignorer les Tyranides.
Les spores qui saturaient l’air de la pièce brûlaient désormais sans discontinuer à cause d’un orage électrique artificiel qui assainissait l’air tout en le privant de son oxygène. Les membres de la Deathwatch n’avaient de toute façon aucun doute sur le fait que ce n’était pas l’asphyxie qui viendrait à bout d’eux en ce jour. A moins que quelque chose ne leur défonce le thorax…
Ils avaient encaissé la vague psychique comme on encaisse une jambe arrachée. A l’âme. Tous s’étaient relevés péniblement en quelques secondes à peine. Sauf Wulfric.
***
Les loups couraient à travers la steppe glaciale, recouverte d’un épais tapis blanc. C'était l'une de ces rares journées où le bleu du ciel était visible. Une journée idéale pour la chasse.
Le Noir et le Gris-Noir étaient sur les côtés, veillant sur les flancs du groupe et à la régularité de son rythme de course. Le Doré était à la peine depuis sa blessure mais il n'était pas un handicap, et son odorat était supérieur ; il était utile. Il était un membre du clan. Le Noir dont le ventre est blanc était le plus rapide, le plus enthousiaste, et le meilleur chasseur, bondissant et nerveux comme nul autre. Le Dégarni était à l'arrière, les larges plaques sans poils dévoilant sa peau nue faisant étalage de cicatrices glorieusement conquises. Lui, venait en dernier. Il fallait qu'il soit le dernier. Cela lui permettait de voir le groupe entier, de le superviser. De s'assurer de leur sécurité.
Le Roux était parti à l'avant, seul, poussé par sa faim et par un enthousiasme quasi-juvénile. Il n'était pas revenu. Il ne reviendrait pas. C'était une certitude. Il en allait ainsi, dans la steppe.
***
- C'était ma dernière grenade ! hurla Ambrosius qui venait de se débarrasser d'un xénos métallique muni d'un étrange bâton terriblement meurtrier.
- Ils évitent le corps à corps, ils ont dû voir que nous n'avions plus de munitions !
- Et qu'est-ce que tu proposes, Gregor ?
- On leur jette l'interrogateur !
- Ne me tente pas ! Je suis sûr que même à ça il serait mauvais !
- Le capitaine n'est toujours pas sorti de sa torpeur ?! hurla Tenaka par dessus le tumulte des hurlements et des décharges laser ou bioacides.
- Négatif. Les constantes de son armures assurent qu'il est en vie, mais son activité cérébrale frise l'hypertension !
Nolt était celui qui avait répondu.
Désormais concentrés autour de la carcasse du Thunderhawk, dissimulés derrière des piles de débris, des monceaux de cadavres Tyranides, des piles de chairs éclatées issues du sol lui-même. Pour nombreux qu'ils soient, ces abris n'étaient que d'un maigre secours ; quand on ne peut riposter faute de munition, avoir un abris revient à avoir l'embarras du choix pour sa tombe.
Wulfric était prostré, à genoux, n'émettant pas le moindre son, la tête légèrement inclinée en direction du sol. Ryanor avait été forcé de le porter en sécurité au cœur de la carcasse de l'aéronef. Ils n'avaient pas le temps de s'occuper de lui. Ils ne pouvaient que se battre, jusqu'à ce que ce soit la fin.
- Ils n'ont pas l'air décidés à venir nous chercher ! cria Gregor en repoussant de son gantelet un Guerrier Tyranide, qui, lui n'avait pas hésité à se jeter seul vers eux.
- Tant mieux ! S'ils perdent du temps cela laisse plus d'occasions à la flotte !
- Si la flotte faisait son travail correctement nous aurions déjà dû sauter avec cette horreur !
- Impatient de mourir, Ryanor ?
- Il en faut bien un pour se rappeler l'objectif de cette mission, Tenaka.
- Toi en stratège, et le capitaine qui ne peut plus parler... Nous devons être dans une faille Warp, dit sombrement le Mantis Warrior.
- Si nous pouvons les forcer à se déplacer on pourrait...
- Plus la peine de te creuser la tête... Ils ont perdu patience.
L'intervention d'Ambrosius fut accompagnée d'un arrêt des nombreux tirs nécron. Une dizaine de guerriers armés d'épées courtes et de boucliers massifs se dirigeaient vers eux, d'un pas parfaitement synchrone. La largeur de leurs épaules métalliques semblait révéler une constitution plus résistante que celle de leurs simples homologues équipés d'armes de tir.
Quatre d'entre eux se détachèrent du groupe lorsqu'ils arrivèrent à proximité de la carcasse du Thunderhawk et commencèrent à repousser les Tyranides qui prétendaient s'approcher. Ils ne voulaient pas que leur attaque soit perturbée. Ainsi était cette race. Tout, absolument tout, était
programmé.
***
- Continuez le travail de sape bon sang ! On arrive à les isoler les uns des autres !
- La salle des astropathes est en effervescence ! Ils disent que l'Ombre dans le Warp diminue encore ! Chaque perte infligée à leur flotte diminue leur cohésion !
- Qu'en est-il de nos pertes ?!
- La moitié de la flotte est détruite ou désemparée, mais presque tous les vaisseaux désemparés sont ignorés par l'ennemi. En termes de pertes nettes...
- Combien de temps avant qu'ils ne puissent à nouveau manœuvrer ! Plus vite, par le Trône d'Or !
- Les données évolues en permanence, plusieurs réponses sont contradictoires ! Et l'amiral Liuke...
- Quoi l'amiral ?!
- Il... Il vient d'ordonner au reste du régiment de la Garde embarqué de...
- De quoi bon sang !
Le sous-officier ne put répondre. Sa tablette de donnée indiquait quelque chose de trop absurde pour qu'il parvienne à simplement la lire avec stoïcisme.
***
- Sa colère vient du ciel ! hurla Ryanor en bondissant vers son adversaire, très rapidement suivi d'Ambrosius qui tenait la lame de son épée à deux mains, l'épaule en avant. Gregor et Nolt avaient tenté de passer par les côtés pour contourner leurs agresseurs, sans y parvenir. Tenaka était arrivé à leur suite, courant en zigzag pour tromper d'éventuels tirs qui ne vinrent jamais. Aucun d'entre eux ne pouvaient en être certain, mais il semblait que les Nécrons essayaient d'épargner le véhicule impérial. Ils ne voulaient plus prendre le risque d'endommager ce qu'il contenait.
De furieux corps à corps s'engagèrent, et chaque Space Marine s'engagea pleinement contre son adversaire. Ils étaient tous épuisés, sous le contrecoup des tirs reçus, sans parler de la vague psychique et de ses conséquences, même sur un mental aussi entrainé que le leur.
Ils étaient tous focalisés sur le combat. Chacun pris dans un duel. Ils ne purent donc pas voir le Cryptek qui, muni d'un fauchard, se glissa dans l'habitacle.
***
La steppe était désormais au cœur d'une tourmente indescriptible. Une tempête comme seule Fenris pouvait en produire.
La meute avait disparu. Il était seul. A la limite de sa vision périphérique, il pouvait deviner l'image d'un enfant jouant avec des figurines de bois. Plus loin, il voyait une bande de jeunes guerriers s'apprêtant à affronter les créatures sous-marines de ce monde si hostile. Quelque part il pouvait apercevoir une scène de chasse, menée par des loups massifs et terribles. Tout était réel ; et rien n'existait. Tout cela n'était qu'un potentiel et un rêve ; une vie qui aurait pu être menée, et ne l'avait jamais été. Des espoirs qui n'avaient jamais pu naître, et qui avaient pourtant, dans les tréfonds d'une conscience endormie, éveillés un instant seulement l'atome d'un regret.
Wulfric était au milieu de cette tempête hurlante, la neige soufflant partout autour de lui, dans une confusion qui ne pouvait pas trouver de fin.
Wulfric se jetait sans cesse contre ce torrent d'air glacial qui le repoussait encore et encore. Ses propres hurlements ne pouvaient pas égaler ceux de la tornade gelée qui était son univers.
Il s'acharna, obstiné, refusant d'abandonner contre la nature de son monde, tout comme il aurait refusé d'abandonner face à un ennemi de chair, de sang, de chitine et d'acier.
- Cela ne sert à rien, dit une voix étonnamment claire et audible au sein de la tempête.
Wulfric se retourna. Derrière lui se tenait Azador, non-casqué, pâle, et semblant aussi triste qu'emporté par la lassitude.
Le Space Wolf se jeta presque sur lui, hurlant de rage sans trop savoir pourquoi. Il frappa comme par réflexe et constata qu'il n'avait fait que brasser de l'air.
Azador était plus loin, à peine à trois mètres.
- Je serais bientôt parti, fils de Russ, inutile de tenter d'accélérer les choses.
Wulfric semblait emporté par une rage berserke incontrôlable. L'interrogateur ne s'en émeut pas.
- Vous avez plusieurs siècles d'existence, capitaine. Vous avez vécu bien des horreurs, et perdu plus de frères que bien des Astartes.
Un nouveau coup, un nouvel échec.
- Au fond de votre âme, plus que le sens du devoir, plus que vos responsabilités, il y a un cœur émotionnel propre à ce qui fait de nous des êtres humains. Vous êtes un surhomme comme seuls les Space Marines peuvent l'être, mais rien, ni votre conditionnement, votre endoctrinement et votre expérience n'ont pu faire taire ce trait de votre personnalité.
Une charge furieuse défonça l'image d'Azador, qui eu tôt fait de se rematérialiser à quelques mètres derrière lui. La tempête hurlait plus encore.
- Ce dont je vous parle, capitaine, c'est de bonté. Vous êtes poussés par un désir de protection vis-à-vis de vos hommes qui aurait été le même si vous n'aviez été qu'un humain, chasseur ou guerrier, ou qu'une bête d'un monde pourtant hostile. Mais au sein de la Deathwatch, vous avez vu mourir beaucoup de jeunes prodiges pourtant prometteurs. Et vous, vous perdurez.
La tempête redoubla de violence, les images confuses qu'elle charriait se mêlant en un maelström impossible. Wulfric hurlait plus fort encore, réalisant que ses cris étaient ceux de la tempête.
- Nous avons été frappés par quelque chose qui a éveillé en vous les centaines de mort dont vous vous sentez responsable en tant que supérieur. Vos blessures, ces visions... Et la rage propre à ceux qui ont en eux le sang de Russ... Il est normal que...
- LA FERME !!!! hurla le Space Wolf, ne réalisant même pas qu'il venait seulement de recommencer à pouvoir faire usage de la parole.
- C'étaient vos hommes, continua patiemment Azador désormais en bordure du mur d'air de la tornade gelée. Chacun d'entre eux, quel que fut son chapitre, était sous votre garde. Vous deviez les guider vers la connaissance et l'expérience, pour qu'ils puissent en faire profiter l'Imperium bien au delà d'une simple mission. Ils méritaient mieux. Mais ils ont rencontré leur destin. Le jeune meurt alors que le vieux vit. Vous ne trouvez pas ça naturel.
- TA GUEULE !
- Le Maleficarum, je crois que vous appelez ça ainsi. Il nous a frappé, même en plein sommeil, pour moi. Vous, il vous y a plongé.
Un coup de hache, d'une arme qui n'avait pas été là la seconde d'avant. Sans effet.
- Mais aujourd'hui vous allez en perdre d'autres, dit Azador d'une voix plus ferme et plus forte. Cinq membres de l'Astartes se battent encore en ce moment pendant que vous êtes perdus dans vos faiblesses. Vous valez mieux ça !
- AAAAAARRRH !
- Quintus ! Eriksson ! SANDRO ! Et bientôt tous les autres ! Parce que vous ne savez pas accepter que tout ne repose pas que sur vos seules épaules ! Ils sont votre équipe, comme tous ceux qui vous accompagnaient avant eux. Penser que tout ne repose que sur vous, c'est les mépriser !
- Tu n'as pas le droit de parler d'eux !
- J'ai le droit de prononcer le nom de ceux que MA mission a envoyé à la mort ! Il y a de la rage en moi aussi, Wulfric de Fenris ! Je ne peux plus la libérer à présent, mais vous si ! Réveillez-vous ! Le sang sur votre hache est presque sec ! C'est faire insulte à celui qui l'a forgé !
- JE l'ai forgée !
- PRÉCISÉMENT ! hurla Azador en couvrant le bruit de la tempête, qui sembla se figer, comme un souffle paralysé dans le temps.
Plus rien n'était audible, et seules les images de la tempête continuaient à flotter, comme indécises, dans le ciel blanchi par la neige figée en suspension.
Wulfric voulu cesser de hurler, mais se rendit compte à retardement que c'était déjà fait. Il regarda l'enfant qu'il aurait pu être, le loup qu'il avait peut-être été, et l'être humain qu'il ne serait jamais. Ils lui rendaient son regard, et avaient tous le même air entendu. Dans leurs yeux brillaient une lumière intense, grandissante, faite d'or pur porté à la température d'un millier de soleils.
- Pour qui combattez-vous, Ulric Peau-d'Ours des Space Wolves ? Pour vous-mêmes ? Pour vos hommes ? Pour la Deathwatch ? Votre chapitre ?
***
Wulfric leva instinctivement sa hache énergétique et para le coup de fauchard qu'il n'avait pourtant pas vu arriver, puis il tordit son poignet pour que l'arme reste bloquée entre le tranchant et la longue pointe de la cognée. Il releva la tête et fixa son ennemi avec une fureur ardente, prononçant à voix haute deux simples mots :
- Pour l'Empereur.