Il courait, terrifié, à travers la jungle épaisse qui avait toujours constitué son unique horizon, trop esclave de sa panique pour parvenir à penser à autre chose qu'au seul fait d'avancer.
Ces "choses" étaient venues des étoiles et tuaient, comme toutes les prophéties du chaman l'avaient annoncé. Il avait toujours été persuadé que tout cela n'était qu'un ramassis de foutaises destinées à effrayer les plus faibles d'esprit. Pas lui. Les créatures décrites par la légende étaient grotesques ; même enfant il les trouvait ridicules.
Cela ne l'avait pas aidé à se faire accepter.
Depuis sa naissance, toujours, il avait été rejeté. Nourri, toléré, son existence et sa survie avaient été assurées, mais il n'avait jamais pu obtenir un semblant d'amitié ou d'approbation. Le rejet dont il était victime avait toujours été terriblement "naturel" pour les autres. Cela ne s'expliquait pas. Quelquefois, le destin est cruel ; parfois, on ne nous aime pas, sans raison.
Rejeter les théories ancestrales de son peuple l'avait fait bannir, à un âge où il était heureusement capable de s'occuper de lui-même. Cela l'avait sans-doute sauvé. Le village avait été le premier à être visité par les Etoiles-Servants. Depuis l'arbre qu'il utilisait pour observer les allées et venues de sa tribu, il avait été le premier à voir les points lumineux d'une couleur dérangeante se manifester au milieu d'une zone vide. Cette couleur... Il aurait été incapable de la décrire en d'autres termes "qu'un vert de maladie".
Autour des points verts surplombant le sol éternellement humide de la jungle épaisse une brume chargée d'une odeur d'ozone s'était à son tour manifestée. Sans tenir compte des cris étranglés des autres, il avait concentré son regard sur l'intérieur de la brume. Avant tous les autres, il avait bien remarqué que des formes se dessinaient dans la brume. Avant tous les croyants, l'incrédule avait compris l'abyssale réalité de la légende.
Quand ils apparurent clairement, il était déjà loin.
***
Système de translation partiel. Activation ; stabilisation. Analyse. Permanente analyse.
Changement d'emplacement géographique : succès. Place et lieu, détectés. Créatures autochtones présentes autour de l'objet "cible". Éradication. Moisson...***
Il avait tout entendu.
C'était impossible. La jungle étouffait les sons. A cent mètres, les arbres, les plantes, les animaux... tout, absolument tout dans cette foutue jungle rendait inaudible le moindre bruit, et il s'était éloigné de bien plus de cent mètres du village au moment où la curée avait commencé.
Et il avait pourtant tout entendu. Chaque cri, chaque décharge électrique, chaque détonation, bon sang ! Il aurait même pu jurer qu'il avait entendu les Etoiles-Servants se déplacer, tout simplement, alors que les plus grosses créatures de la jungle étaient pratiquement inaudibles sur ce sol boueux et spongieux.
Il avait commencé à manquer de souffle avant longtemps, mais il avait continué à marcher, clopinant et suffocant comme le faisait toujours Akh'Ta, le guerrier qui avait survécu à une blessure au poumon dans la guerre contre la tribu des Pa'nh Kaa. Rien, absolument rien n'aurait pu le convaincre de ne pas continuer à s'éloigner, encore et encore, jusqu'à ce que l'équivalent de mille planètes le sépare de ces monstres.
Si les légendes étaient vraies... Si ne serait-ce que la moitié des légendes étaient vraies...
Des larmes de terreur coulèrent de ses yeux, gênant sa vue. Il ne fit rien ne serait-ce que pour les essuyer. Un point de côté se fit sentir ; il l'ignora. Ses jambes finirent par se dérober sous lui, les signaux d'alerte envoyés par son cerveau ayant été ignorés. Le corps avait pris la décision qu'il ne pouvait plus courir ; il lui répondit "merde !" intérieurement et commença à ramper.
Au bout d'une centaine de mètres supplémentaire dans sa course effrénée, il parviendrait à la rivière. Cette partie était relativement pauvre en animaux dangereux, il pourrait donc s'y plonger et se laisser flotter. Le courant serait ses jambes. Il lui faudrait être minutieux car il y avait malgré tout toujours quelques serpents qui n'aimaient pas voir leur quiétude silencieuse être dérangée par le plongeon d'une bête de la taille d'un humain.
Rien de tout cela ne compta plus lorsqu’il découvrit ce qui l’attendit à la rivière.
***
La cible fut amenée avec une absence de douceur caractéristique de l’unité de capture, mais un observateur attentif aurait pu remarquer que tout était fait pour que le mortel ne soit pas endommagé.
Garder intégrité de structure physique : ordre basique de mission de récupération de matériaux rares.
L’unité cible regarda autour d’elle. Le lieu d’habitation des créatures mortelles était en ruine ou en flammes. Les cadavres jonchaient le sol, et une puissante odeur d’excréments parvenait sans doute aux narines des créatures en étant pourvues. La cible vomit, ce qui ne ralentit pas l’unité de capture qui la transportait. La mission était accomplie.***
Son esprit paniqué fonctionnait à toute vitesse, embrumé par un nuage de terreur qu’il ne parvenait pas à percer.
Il se souvenait des légendes racontées par le chaman. Les créatures servant les incarnations d’étoiles vengeresses arriveraient et massacreraient tous ceux qui ne seraient pas dignes. « La mort silencieuse emporterait tout, à une exception près. »
« La mort était glacée, et elle emporterait celui qui est vide, car le vide est glacial. »
Tout le monde était mort, sauf lui. Il était vide, sans amis, sans famille…
Sans âme.
Il serait emmené parmi les dieux, pour devenir l’un d’eux.
- Aoun’a yé ! gémit-il dans sa langue primitive. Aoun’ayé Davo gan !
« Je ne veux pas ! Je ne veux pas devenir un dieu ! »
Il répéta cela, sans s’adresser à personne. C’était comme s’il parlait tout seul, à moins qu’il n’ait supplié l’univers entier dans une pathétique tentative de s'accrocher à l'idée que quelqu'un, qui que soit, puisse l'entendre et l'aider.
Son cœur manqua un battement quand il entendit la plus grande des créatures au visage ignoble lui répondre dans sa langue, d’une voix particulièrement atroce de par son timbre métallique et résonnant.
-
Davo nieh ganou tarak. Davo ergitor.Il perdit connaissance alors que le champ de téléportation quantique l’emportait vers un destin plus cruel que bien des morts.
« Tu ne deviendras pas un dieu. Mais tu vas les servir. »
***
La vague d’énergie psychique partie dans l’univers traversa des zones habitées par bien des espèces à une vitesse ridiculisant celle de la lumière, jouant à travers les dimensions, ravageant des esprits jeunes et entrainant des naissances prématurées de petits déformés, mutant à une vitesse impossible. Une vrille de Flotte-Ruche modifia sa trajectoire, l’Esprit de la Ruche analysant cette vague comme une anomalie à éviter. Plusieurs psykers assermentés de l’humanité devinrent fous ou entrèrent en état catatonique, et nombre d’entre eux durent être abattus. Nombre d'eldars s'effondrèrent sur place et eurent besoin d'une assistance médicale. Des orks crurent à une attaque et les premiers à sortir de leur migraine atroce commencèrent à massacrer les premières créatures qu'elles purent rencontrer. il fallut tout l'autorité des Boss pour calmer les Boyz plongés dans une confusion totale.
Tout cela était absolument dépourvu d'intérêt. Il y avait une menace endormie, bien pire, qui n'attendait que d'être réveillée par pareille agression.
Lorsque la vague psychique atteignit « leurs » rivages, la réactivation fut immédiate, et là où des éons s’étaient passés sans que la moindre étincelle de vie ne jaillisse, des milliers d’yeux morts se mirent à briller à nouveau.
Parmi eux présidait une créature âgée de plusieurs centaines d’années. Son esprit avait été libre. Il n’en restait à présent plus qu’une volonté farouche et absolue de servir, par la destruction et la mort.
A voix haute il fut dit : « Conseil des Parias : éveillé. Recherche... »
Et alors que la plus grande congrégation d’anti-psykers du sous-secteur galactique se mettait en route vers la source de ce qui avait provoqué leur éveil, le dernier pion de la partie se mettait en place.