Il se déplaçait à une vitesse impossible pour une masse pareille.
Cette forme représentait sans doute la quintessence même de ce que l'architecture Nécron pouvait produire, toujours avec ce goût prononcé pour le monumental aux formes géométriques parfaites. Ce croissant de lune immense, cette pyramide haute de plus d'un kilomètre de haut, ces centaines de tours et de capteurs visibles sur son ventre comme autant de tentacules rigides goûtant un environnement hostile dont il avait fait son fief... Il rivalisait de taille avec l'Arche Mechanicum, sans parvenir à l'égaler malgré tout. Ces reliques de l'Imperium n'étaient pas uniques pour rien.
Le vide spatial et son silence angoissant permettait d'apprécier avec une froideur calculatrice l'avancée de cette véritable cité volante vers les deux vaisseaux Impériaux. Bien que séparés l'un de l'autre de plusieurs centaines de milliers de kilomètres, ils constituaient une cible de choix pour la flotte qui s'approchait d'eux si rapidement.
- Rapport complet ! hurla le capitaine du vaisseau de la Deathwatch. Je veux savoir exactement de quoi est constituée cette flotte !
- Analyse... répondit un serviteur lobotomisé directement attaché aux consoles auspex à longue portée.
Le rapport d'analyse fut transmis aussitôt reçus, les membres d'équipages habitués aux situations les plus dangereuses trahissant une certaine nervosité.
- En plus du Vaisseau-Tombe, on dénombre trois... bon-sang, trois vaisseaux Scythes, cinq Shroud, huit Jackal, dix Dirge, une vingtaine d'aéronefs faucheurs et des mécanoptères... trop pour que nos capteurs puissent les compter à cette distance ! Il y a de quoi rayer un sous-secteur des cartes spatiales avec une flotte pareille !
- Contentez vous d'entamer les manœuvres d'évitement le plus vite possible et calculez moi un saut Warp ! Je veux que nous soyons hors d'atteinte à l'instant-même où cette navette sera dans nos hangars ! Aucune énergie concentrée sur les boucliers ! Je veux que nos armes fonctionnent à deux-cent pourcent de leurs capacités et que les moteurs nous éloignent de là immédiatement.
- Bien capitaine !
Azador semblait perdu dans ses pensées, contemplant depuis la verrière de la passerelle le plus grand bâtiment Nécron qu'il ait jamais vu de son existence. Officiellement, les rapports des flottes impériales n'avaient rapporté que sept fois la présence de ces béhémoths aliens, et les informations dont disposait l'Inquisition les concernant restaient minces. Dans la mesure où les missions de la Deathwatch étaient tenues par le sceau du secret, cette rencontre n'ajouterait pas de huitième fois aux rapports officiels.
Bon sang, une flotte pareille... Nous avons secoué la ruche plus que je ne m'y serais attendu...Le sang de l'interrogateur se glaça lorsqu'il vit les escorteurs Xénos entrer en contact avec les chasseurs qui poursuivaient la navette Arvus. Celle-ci se rapprochait d'eux à une vitesse qui lui semblait absolument insuffisante, et ils ne pouvaient même pas ouvrir le feu sur ses poursuivants. Ils étaient bien trop petits et des tirs de suppression n'auraient fait que mettre la navette elle-même en danger. Comble de l'ironie : ils devaient eux aussi de mettre en mouvement pour commencer à entrer en manœuvre d'évitement, ce qui risquait de commencer à les éloigner avant que Sandro et Ryanor n'arrivent.
- Les portes des hangars sont déjà prêtes à les accueillir, je présume ?
- Oui interrogateur. Chaque homme est à son poste. Nous n'avons pas eu de pertes handicapantes lors de l'accrochage de tout à l'heure. Mais contre une flotte pareille, nous ne tiendrons pas vingt minutes.
- C'est un rapport optimiste, capitaine. Un seul tir de cette cité volante et nous serons vaporisés. Les laisser approcher revient au suicide. Où en est cette putain d'Arvus ?!
- Ses moteurs sont puissants, elle avance vite. Mais les données évoluent en permanence ; impossible de savoir si elle sera là à temps.
***
Abisham était pilote depuis plus de vingt ans. L'académie l'avait formé à faire partie des as, des membres de ceux qui se considéraient comme une élite incontestable. Au cours de sa carrière, il avait appris à faire de son chasseur STC une part de lui-même. Cette formulation extrêmement banale était selon parfaitement véridique. Son vaisseau était son corps, répondait à ses ordres comme un de ses membres répondait à son cerveau. S'il était touché, il avait mal ; s'il était gravement endommagé, il se sentait faiblir.
A cet instant, alors que son escadrille se repositionnait derrière lui, il ne comprenait pas pourquoi son vaisseau si agile et vétéran de tellement d'affrontements avait tant de problèmes techniques. Ralentissements intempestifs, moteur crachotant, vrilles vers le haut qu'il devait corriger sans cesse... Que se passait-il enfin !?
L'Archimagos l'avait rappelé, lui et tout son escadron, pour venir défendre l'Arche, ce qui en disait long sur la menace estimée de cette mystérieuse flotte qui venait d'apparaître. Les renforts devraient normalement être en chemin, se dit Abisham, car les balises se détresse psychiques avaient été activées avant même l'assaut, et la flotte personnelle de Byzantia n'était jamais loin
- Capitaine ?
- Quoi, Macky ?!
- L'escadrille au grand complet a des problèmes pour tenir la formation ; gros soucis de direction et réorientation permanente dès que nous pointons vers les cibles.
- Contentez vous de corriger votre assiette et faites obéir vos coucous, il faut donner le temps à l'Arche de se tourner pour présenter son canon de proue vers eux.
- Affirmatif.
Abisham fixa les unités que ses radars affichaient comme étant les premières qu'il allait engager et commença à faire chauffer ses batteries laser. Cinq minutes...
Sans prévenir, son STC bougea comme pour une manœuvre d'esquive et il dû corriger sa trajectoire avec vivacité pour ne pas se retrouver en position de fuite. Que se passait-il bon sang ?! Son chasseur était en parfaite condition et avait été révisé par des nuées d'adeptes et de serviteurs ayant consacrés leur existence entière à des appareils comme le sien. L'idée que son escadrille entière subisse les mêmes problèmes que lui ne soit qu'une coïncidence était absurde. Sabotage ? Peu probable... Ce damné Astartes n'avait certainement pas eu le temps d'endommager de façon aussi précise une trentaine de chasseurs l'un après l'autre.
L'Esprit de la Machine lui échappait totalement, confus, comme s'il était... effrayé ?
S'il était touché, il avait mal ; s'il était gravement endommagé, il se sentait faiblir.
Et son vaisseau avait peur...
***
- Tu ne peux pas accélérer ?! Ils sont presque sur nous, par le Trône !
- Si je pousse plus les moteurs on risque la surchauffe, et peut-être l'explosion. Va te rassoir à présent, tu me déconcentre, Sandro.
Le Blood Angel était particulièrement sur les nerfs, incapable de contrôler cette rage qui ne demandait qu'à hurler et couler hors de lui par une violence salvatrice. Cette foutue navette n'avait même pas d'arme ! L'interrogatrice assommée avait été sanglée contre l'un des murs de la navette. Elle ne reprendrait pas conscience avant un très long moment.
- A combien sommes nous des hangars ?
- Peut-être trop loin.
- Les Faucheurs nous rattrapent !
- Je sais lire un auspex, Sandro. Calme toi, j'ai un plan.
- Tout va bien alors, ironisa le Blood Angel.
- Capitaine Wulfric, me recevez vous ?
-
Trois sur cinq, répondit la voix bourrue du capitaine, saturée de Parasites. Ces salopards semblent gêner les communications par leur seule présence.- Capitaine, écoutez-moi. Il faut que vous ouvriez le feu sur nous, à mon signal et pas avant.
-
Pardon ?!- Capitaine, j'ai lu les trajectoires de ces maudits aliens, et ils creusent l'écart entre nous à chaque seconde. Vous ne nous rattraperez pas à temps. Je sais quoi faire, mais vous devez me faire confiance.
-
Tu m'en demande beaucoup gamin...- A mon signal, répéta Ryanor d'une voix neutre, et envoyez tout ce que vous avez.
-
Bien compris.- Ryanor, terminé.
- J'ose croire que tu n'as jamais expérimenté ce que tu t'apprêtes à nous faire faire ? demanda Sandro.
- Il faut une première fois à tout. C'est bien la première fois que je suis aux commandes d'une navette hors simulation après tout.
-QUOI ?!
***
Penser "vecteur". Penser "cible". Approche enregistrée. Calculs effectués et ré-effectués toutes les treize secondes. Optimisation. Quarante sept secondes avant interception. Distance de tir maximale : atteinte. Moteurs de l'appareil ennemi : enregistrés et bloqués dans le système de visée.Sans qu'on ait besoin de le lui ordonner, le Faucheur ouvrit le feu.
***
Abisham était en sueur. La flotte de renforts n'arrivait pas, sans doute la faute aux aléas de ce maudit Warp. Ils ne suffiraient jamais qu'à faire gagner du temps à l'Arche ; quelques minutes au mieux. Ses scanners à longue portée lui indiquèrent que leur cible précédente était sur le point d'être rattrapée alors que eux fonçaient vers les frégates ennemies.
Il tenta de se calmer, d'empêcher ses mains de trembler, de rappeler à lui une discipline qui ne lui avait jamais fait défaut, jusqu'à ce jour. C'était cet ennemi, sans aucun doute. Cet inconnu qui usait de subterfuges pour tromper son esprit.
Il tenta de remplacer sa peur par de la colère et y parvint, un peu. Comme en prévision du fait de laisser libre court à cette rage saine et salvatrice, il effleura le bouton d'activation des canons lasers jumeaux dont il connaissait si bien le chant pourtant muet dans l'espace.
Il regarda l'immense, le titanesque vaisseau ennemi et la nuée abominable de choses mécaniques impies qui le devançaient, et il sut qu'il allait mourir. Il avait entendu parler de ce fameux sentiment de paix intérieur ressenti par le guerrier sentant approcher sa fin, et il eut profondément honte de ne pas le ressentir. Le sang-froid était une chose qu'il connaissait. Monter au suicide n'avait en revanche jamais été une chose qu'il avait envisagé.
- Escadrille... Les gars... Je...
-
De la faiblesse de l'esprit, Omnimessie, sauve nous. C'était son second, Macky.
-
Des mensonges de l'anti-voie, circuit, préserve nous. Il s'agissait cette-fois-ci de son lieutenant, Thegrad.
-
De la rage de la Bête, Fer protège nous.-
Des tentations du Seigneur des Éclairs, Silica purifie nous.-
Des ravages du Destructeur, Anima, fais nous rempart.-
De cette cage pourrissante de biomatière, Dieu Machine, délivre nous.Aucun d'entre eux n'avait été formé aux secrets des technoprêtres, mais cette prière basique était une conséquence presque naturelle de plusieurs années de service au sein d'un vaisseau aussi révéré que le leur. Pas un membre de son escouade n'avait failli, là où lui avait manqué de flancher. Il fut donc pris d'un sentiment confus de honte et d'immense fierté avant de répéter :
- De la faiblesse de l'esprit, Omnimessie, sauve nous !
- Omnimessie ! Hurla son escadrille au grand complet.
Abisham ordonna la formation dispersée et ouvrit le feu à l'instant même où une cible se présenta à lui.
- Il n'y a aucune certitude dans la chair, excepté la mort !
-
Nous... sommes... la mort...***
- J'y suis presque, dit calmement Ryanor en esquivant de justesse un tir de laser concentré qui aurait sans doute coupé son aile aussi nettement que si elle avait été téléportée ailleurs.
- Ils sont à portée courte, répondit calmement Sandro qui semblait résigné et amers. Si tu as quelque chose à dire ou faire, cela doit être tout de suite.
- Capitaine, tirez nous dessus, MAINTENANT !
La navette plongea, le nez vers l'avant, avec une vitesse pour laquelle elle n'avait pas été étudiée. S'ils avaient été en atmosphère, leurs ailes courtes n'auraient peut-être pas tenu le choc malgré la très grande robustesse qui faisait la réputation des Arvus. Là où elle s'était trouvée un instant à peine auparavant, on pouvait voir passer des tirs abominablement destructeurs de munitions solides propulsées depuis l'intérieur des hangars, ainsi que les décharges laser des tourelles lourdes.
Pris dans cette tourmente inattendue, les Faucheurs qui suivaient l'Arvus de trop près furent pulvérisés.
- Nous arrivons aux hangars ! Préparez notre arrivée !
- Des dommages à signaler ? s'empressa de demander un des membres de la passerelle.
- Train d'atterrissage endommagé dans l'explosion. Aile gauche défectueuse. Moteurs en début de surchauffe. Qu'ils se tiennent prêts, ça risque d'être une arrivée peu gracieuse...
- Bien reçu, répondit la voix de Wulfric. Contentez vous d'arriver avec ce caisson entier. Vous on pourra toujours vous rafistoler plus tard.
La communication fut coupée et la navette amorça son approche de façon très approximative.
- Sandro ?
- Je t'écoute.
- J'ai suivi l'un des entrainements les plus difficiles de l'Imperium, affronté certaines des créatures les plus abominables de cette damnée galaxie, et que l'Empereur me pardonne mais je suis même arrivé à appréhender la façon dont certains de nos ennemis fonctionnent avec une certaine forme de respect. Pourtant, il y a une chose à laquelle je ne parviens toujours pas. Pas du tout.
- Qui est ?
- Comprendre l'humour des fils de Russ.
Sandro s'esclaffa avec franchise, sans aucune moquerie.
- Je te rassure, c'est plus de notre capitaine en particulier qu'il s'agit, et non des fils de Russ au sens large. Ses propres frères ne le comprenaient pas à ce qu'il m'a dit. Néanmoins, tu te trompes sur un point.
- Lequel ?
- Il ne plaisantait absolument pas.
***
Abisham ouvrit le feu une nouvelle fois, creusant sur la coque du Shroud un sillon qui ne suffit pas à provoquer un quelconque dégât significatif. Il avait déjà perdu trois membres de son escadrille.
Résigné, il changea de tactique.
- Concentrez vous sur les Dirge et les Jackal ! On ne parviendra pas à entamer ces salopards.
-
Reçu ! lui répondirent en cœur tous les hommes qui lui restaient.
Depuis les profondeurs d'un espace lointain, tous purent voir la réalité se troubler, puis éclater en une sinistre fleur violacée aux reflets de bubons suintants. La flotte personnelle de Byzantia sortait du Warp !
- Enfin ! s'exclama Abisham. Cela leur a pris du temps mais ils vont moins rigoler en face !
Puis il y eut un éclair scintillant qui donna au capitaine l'impression d'être baigné de lumière ; la Foudre Solaire du Shroud qu'il avait eu l'audace d'attaquer conféra à sa mort un instant de sainteté dont il n'eut jamais conscience.
Il n'y a aucune certitude dans la chair, excepté la mort.***
L'Arvus arriva dans le hangar avec la brutalité démentielle d'un cheval fou se ruant dans une écurie d'acier renforcé. Glissant sur le sol en projetant des gerbes d'étincelles et des panaches de fumées huileuses, la navette ne fut arrêtée que par la cloison intérieure du vaisseau qu'elle finit par percuter en renversant des dizaines de caisses d'outils et de munitions à charges heureusement non-réactives. Les deux ailes se plièrent puis se brisèrent sous l'impact tandis qu'à travers la verrière, on pouvait voir Ryanor se débattre pour ne pas être projeté contre le verre blindé.
Les portes du hangar avaient commencé à se refermer avant même que la navette n'ai terminé sa folle glissade.
- Toujours vivant ? demanda la voix de Wulfric sur le réseau vox.
- Aucun... problème, répondit Sandro rapidement approuvé par Ryanor. Le caisson était sanglé et à tenu le coup. Idem pour notre invitée.
- Nous avons une invitée ?
- Je vous laisserai lui souhaiter la bienvenue plus tard. Décampons d'ici par le Trône ! La dernière lecture auspex disait que nous avons l'un des Scythes aux fesses !
- Saut calculé et confirmé ! hurla le capitaine. Sur votre ordre, interrogateur !
- Faites nous partir d'ici alors, dit Azador en ne parvenant pas à contenir un sourire.
- Saut !
***
Le Seigneur regarda sa proie disparaissant une nouvelle fois dans une réalité où il ne pourrait pas la suivre.
Nulle colère ; nulle rage ; nulle frustration. Rien que des nouvelles données, qui lui parvenaient en permanence. Il avait calculé et anticipé que ses aéronefs pourraient être pris de vitesse par une manœuvre dont cette faible race aurait eu le secret. Il avait dissimulé un Moissonneur parmi son escadrille de Faucheurs, et le réseau de relais avait parfaitement fonctionné.
Quelque part, au cœur du vaisseau inquisitorial, une dizaine de Traqueurs avançaient.
Le Seigneur, quand-bien même son visage métallique le lui eut permis, ne sourit pas. Pas de satisfaction ; rien que de nouvelles données.