Drusille avait déjà été retenue captive, à bien des reprises, au cours de sa carrière au service de l'Inquisition. Elle avait eu l'occasion d'expérimenter des situations pour le moins inconfortables : interrogatoires, tortures physiques et psychologiques, hypnose forcée ou encore attaque psychique. Au fil de ces épreuves et avec un entrainement rigoureux, son esprit s"était blindé contre pratiquement tout ce que l'on pouvait lui faire subir. Pratiquement... L'une des exceptions était d'être enfermée dans la même pièce qu'Azador Valdenrac.
Elle le haïssait de chaque fibre de son être.
Ce qui avait commencé comme une banale animosité entre deux interrogateurs servant des maîtres essayant systématiquement de se nuire l'un l'autre avait finit par évoluer en une véritable rivalité meurtrière. Ils s'étaient rencontrés sur d'innombrables terrains d'opération, parfois par hasard, parfois parce qu'ils étaient mutuellement censés s'assassiner ou faire échouer les plans de leur homologue. Le fait de s'être tenus en échec si longtemps avait finit par prendre l'apparence d'une forme de moquerie cosmique. Mais là où Azador prenait sa rage comme une énergie à exploiter, Drusille avait manqué à plusieurs reprises de se laisser consumer. Elle s'était même laissée aller à désobéir aux ordres. Une fois. Si aimable qu'il ait pu être, son maître lui avait gentiment fait comprendre qu'un autre écart ne serait toléré que de façon très "approximative".
Azador se tenait face à elle, immobile, ayant sur le visage cet air perpétuellement égal qui enrageait tant Drusille. Si elle avait pu s'avancer ne serait-ce que de quelques centimètres, elle aurait tenté de lui arracher la jugulaire avec les dents. Elle ne le pouvait pas. Trop bien entravée... Azador n'avait pas la mémoire courte : elle lui avait laissé une cicatrice hideuse lors d'un précédent essai. Il ne l'avait plus à présent. Il était probable que son damné seigneur Talaran avait ordonné en personne qu'on la lui enlève, non par coquetterie mais par volonté de lui ôter tout signe distinctif reconnaissable. Être reconnaissable dans ce milieux signifiait la mort, et si Talaran avait la réputation d'être un joueur n'hésitant pas un instant à sacrifier ses pions, il n'était pas assez bêtement calculateur pour ne pas tenter de préserver ses bons éléments. Du reste, sur son plateau de Régicide, Azador n'était pas un pion. Il était son fou, bien plus probablement.
Elle ne l'admettrait jamais, mais parmi toutes les raisons qui motivaient sa haine à l'encontre de son homologue, résidait le fait qu'elle le trouvait meilleur qu'elle. Ce salopard était brillant.
Drusille n'essayait pas de se défaire de ses nombreux liens. Elle savait que son geôlier les maîtrisait trop bien et que tenter de se dégager ne ferait que renforcer leur très inconfortable étreinte. Il avait fait fait griller l'intégralité de ses implants internes avec un projecteur de radiations d'origine médicale ayant été légèrement surchargé. La pièce était isolé psychiquement autant que la technologie le permettait, malgré le fait que Drusille n'ait jamais rien eu d'une Psyker. Il lui avait également fait retirer ses doses de poison dissimulée dans un faux doigt creux ainsi que dans un mécanisme basique intégré à une de ses dents. L'interrogateur avait bien mené son affaire. Patienter était une obligation.
- Je serais malhonnête si je prétendais avoir été surpris, Drusille. Tu es une menace pour mes opérations depuis, quoi, dix ans ? Plus ? Néanmoins, je reste curieux de savoir comment tu as eu vent d'une mission dont pratiquement personne n'a été informé, sans trace écrite ni la moindre utilisation de cristal de données. On sait tous les deux que c'est déplaisant et inutile ; et je n'ai aucune envie de te torturer. Aucune.
- Cela constitue déjà une différence majeure entre nous, répondit-elle d'un ton calme et parfaitement posé. Même avec un cure-dent pour unique accessoire je saurais faire preuve de pas mal d'imagination à ton égard.
- Tu es une personne sinistre, Drusille, répondit-il sans se démonter. J'ai compris ça depuis l'affaire du culte Eldar sur Vera XXVII.
- Coïncidence : je veux te voir crever précisément depuis cette histoire.
- C'est un mensonge : tu veux me voir mort depuis que j'ai tué ton amant sur Exillisae.
Azador n'avait pas prononcé cette phrase en souriant, ni n'avait employé un ton laissant deviner la moindre satisfaction découlant de cette affirmation. C'était le froid et analytique établissement d'un fait. Drusille garda une apparence calme, et bien des néophytes se seraient laissés prendre par cette expression neutre et glacée qui était la sienne. L'interrogateur, lui, n'eut pas la moindre incertitude quant au fait qu'elle fulminait à cette évocation. Drusille était tombée amoureuse de l'un de ses collègues de travail ayant servi avec elles sur de nombreux mondes. Le danger et la douleur les avait rapprochés, puis tout avait pris fin lorsqu'il avait pris une boisson qui ne lui était pas destinée...
***
Le Space Wolf et le Blood Angel regardaient la scène par l'intermédiaire d'un écran. Sandro, poussé par un tempérament curieux, désirait savoir comment Azador allait se comporter avec une personne de rang égal au sien placée dans une situation si inconfortable. Il répugnait à admettre ce genre de chose, mais en vérité il était également là pour profiter du plaisir malsain de voir sa geôlière à son tour enfermée. Il avait été piqué dans son orgueil.
Wulfric, lui, faisait preuve d'un pragmatisme parfaitement Fenrissien : il voulait être présent en cas de coup fourré. Les membres de l'Inquisition en étaient les spécialistes, dissimulant toujours un pouvoir ou un objet dépositaire d'une capacité inconnue. Azador en avait lui-même fait la preuve au cours de leur mission, avec son arme bizarre.
- Sur Baal, lorsque j'étais enfant, commença doucement Sandro, nous organisions des batailles d'insectes et d'arachnides. Les principaux survivants de la faune de notre monde. Ils se tournaient autour, feintaient, attaquaient, recommençaient... Je n'ai aucun souvenir de mes géniteurs, mais je me rappelle ces combats... C'est étrange. Quand je regarde ces deux mortels j'ai comme une réminiscence... Scorpion et araignée tentant mutuellement de se dévorer.
Wulfric ne répondit rien. La seule chose que cette scène lui inspirait était le dégoût.
Combien de ressources étaient-elles gâchées à chaque minute dans l'immense Imperium de l'humanité par ces conflits internes et ces querelles de pouvoir sans intérêt ? Combien de temps perdu ? De personnel de valeur employé à si mauvais escient ?!
En tant que membre permanent de la Deathwatch il était le premier à reconnaître l'utilité de l'Inquisition. La lutte contre l'Ennemi Intérieur était de tous les instants ; celle contre les abominations du Maleficarum était vitale ; celle contre les Xénos de tous horizons essentielle. Cela le mortifiait donc d'autant plus de voir ceux qui auraient dû œuvrer main dans la main se tirer dans les jambes pour des raisons trop souvent futiles.
Le fils de Russ n'avait aucune peine à imaginer à quel point le détestable Talaran pouvait aisément se faire des ennemis. Malgré tout, pousser un autre seigneur inquisiteur dans une lutte à mort contre lui, cela relevait d'un niveau dont il ne pouvait comprendre les implications. Il s'était déjà battu avec des Space Marines d'autres chapitres, mais jamais au grand jamais il n'aurait mis leur vie en danger. Un duel mettait généralement un terme aux conflits.
- Ils sont presque amusants à observer, reprit Sandro. Mais je doute que cet interrogatoire donne quoi que soit. Pour le moment il la teste. Qu'en penses-tu ?
- Je vais aller voir l'apothicaire, il m'a dit que l'état de Tenaka ne s'améliorait pas.
Sandro eut un sourire sans joie.
- Wulfric, mon ami, tu seras éternellement fait pour le terrain, qu'il s'agisse de celui d'entrainement ou du champ de bataille. Ces considérations t'échapperont toujours.
- Si j'avais du temps à perdre en discours, en négociations, ou en
politique, dit il en crachant ce dernier mot comme une injure, je serais bon pour travailler chez les fils de Guilliman.
Le Blood Angel n'eut pas le temps de répondre : les sirènes d'alertes du vaisseau se mirent à retentir alors que des lumières rouges au halo vermillon angoissant remplaçaient les éclairages classiques des lumiglobes du couloir.
Il ne fallut qu'un instant pour que les deux Space Marines soient prêts à répliquer à une attaque pouvant venir de tout côté. Ce fut insuffisant. Lorsque les cinq silhouettes métalliques furent téléportées juste en face d'eux, ils n'eurent que le temps de tirer une petite salve chacun, avant d'être projetés en arrière par des tirs à la capacité de perforation d'un niveau jusqu'alors inédit pour eux. Le choc fut brutal. La réaction : instantanée. Sans la protection exceptionnelle de leur armure, ils seraient probablement morts sur le coup.
Des rafales du bolter combiné fuseur de Wulfric partirent s'écraser sur la masse métallique de l'escouade ennemie, tandis que des bolts délivrés avec précision jaillissaient du pistolet de Sandro. La moitié d'une seconde fut le temps qu'il leur fallut pour se relever et dégainer leurs armes énergétiques. Autour d'eux, il n'y avait qu'une pièce incontestablement vide. Les capteurs thermiques de leurs casques, les détecteurs de mouvements, les capteurs à infrarouges ou même leur instinct... tout convergeait vers une unique conclusion. Il n'y avait plus personne.
- Qu'est-ce que c'était que ça ? Demanda Sandro d'un ton dans lequel pouvait se deviner la méfiance et la surprise.
- Le terrain, répondit Wulfric.
***
Gregor et Ambrosius se trouvaient chacun dans leurs quartiers au moment où l'alerte secoua le vaisseau. L'armure du Black Templar avait encore besoin de quelques ajustements, mais elle était prête pour de nouveaux combats. Malgré son exceptionnelle capacité à survivre même dépourvu de toute protection, il était heureux de pouvoir se reposer sur son armure. Il commençait à reconnaître avec humilité tout le danger que l'ennemi pouvait représenter.
- Ici Wulfric ! Résonna une voix sur le réseau vox de tout le vaisseau. Nous avons des clandestins, armés et dangereux à l'intérieur, type "traqueurs". Nolt, Gregor, Ryanor, et Ambrosius, convergez immédiatement vers la salle où se trouve le colis ! Sandro et moi vous rejoindrons sous peu.
Le Hammer of Dorn et le Black Templar furent sur place en moins de quatre minutes, mais ils constatèrent que Ryanor les avait devancé.
- Ce type est un fantôme, cracha Gregor avec un ton trahissant une admiration certaine.
Tous réunis autour du caisson, les trois Space Marines attendirent sans un mot, armes au poing, prêts à réagir à tout ce qui se présenterait à eux ; Nolt n'arrivait pas.
***
- Capitaine ? résonna la voix du Son of Medusa dans le casque de Wulfric.
Sur le sol reposait la carcasse de l'un des assaillants. Ils avaient tenté un second assaut, jaillissant de nulle part, et le visant spécifiquement lui plutôt que Sandro. Ils avaient sans aucun doute compris qu'il était aux commandes. De son œil unique ne renvoyant plus aucune lumière, le visage cyclopéen du Traqueur semblait fixer le fils de Russ avec une insistance meurtrière malgré le fait qu'il était incontestablement détruit. Un tir de fuseur chanceux l'avait éparpillé ; les autres avaient une nouvelle fois disparus sans qu'aucun des deux Marines ne puisse voir où, mais surtout comment. Pour peu que cela fut possible, ce visage étaient encore plus inexpressif que celui des autres Nécrons que Wulfric avait pu voir de près.
- Capitaine Wulfric ? Nolt au rapport.
- Je te reçois, dis distraitement le capitaine. Les autres sont avec toi ?
- Négatif, capitaine. Je n'ai pas rejoint le point indiqué.
- Explique toi, et fais vite, dit alors le capitaine d'un ton menaçant.
- Quelque chose ne va pas avec cette attaque. J'ai recoupé et analysé l'intégralité de leurs tactiques immédiates depuis que nous sommes descendus sur leur monde. A priori, ils devraient tout faire pour récupérer le caisson, c'est ce qu'ils ont toujours fait...
- Et c'est pourquoi tu devrais déjà être avec les autres !
- Capitaine, est-ce que vous en avez abattus un ? Ou plusieurs ?
- Oui, un. Et après ?
- A-t-il disparu ? Ou s'est-il reformé ?
Wulfric resta sans voix. Il avait eut l'occasion de le constater à chaque fois, y compris dans la crypte : les Nécrons endommagés au delà de leur capacité à s'autoréparer disparaissaient systématiquement. Il n'y avait jamais eu la moindre exception. Très probablement étaient-ils amenés là où ils pouvaient être réparés. Au cœur des cryptes. Mais ils étaient dans le Warp, et les Nécrons en étaient l'antithèse. Leur technologie pouvait traverser les frontières de la réalité, mais l'Immaterium leur était à jamais interdit.
- Vous comprenez ? demanda Nolt de son ton froid et analytique. Même s'ils nous éliminent ils ne peuvent pas sortir d'ici pour le moment. Leur cible prioritaire n'est
pas le caisson !
- Oh Père de Tout... gémit le Space Wolf en comprenant trop tard. Passerelle ?! Capitaine ?! Répondez bon sang !
Lui et Sandro sentirent avec brutalité le changement d'atmosphère. Ils venaient de quitter le Warp.
***
Les cinq Traqueurs qui avaient été laissés pour s'occuper du chef des mortels avaient reportés la perte d'un des leurs par un canal dont la seule technologie aurait simplifié les communications à l'échelle de l'Imperium entier. Les données n'étaient pas rapides, à ce niveau là elles étaient purement et simplement téléportées.
Pour eux, cela n'était qu'une norme.
Parmi les cinq chargés de l'immobilisation du vaisseau se trouvait un Cryptec, détenteur de quelque chose de primordial.
La passerelle de commandement du vaisseau était un charnier incroyablement propre. Pas de grandes éclaboussures de sang, ni de membres arrachés ou de traces particulièrement visibles. Les nombreux cadavres qui reposaient là avaient été victimes de tirs à la précision impossible. Milieu du front, cœur, poumon, arrière du crâne... Chaque coup avait été à l'origine d'une mort instantanée. L'efficacité d'un désintégrateur synaptique était terrifiante même si l'on était touché à la jambe. L'être à un organe vital, quel qu'il soit, était la garantie d'une fin rapide et sans échappatoire. Ces armes dont les tirs détruisaient les tissus synaptiques de leurs victimes n'étaient pas très impressionnantes, du moins, dans leurs effets visibles. Mais la façon dont elles détruisaient le cerveau de leur victime était l'incarnation même d'un cauchemar. Sandro et Wulfric avaient été sauvés par leurs armures ayant repoussé une bonne part des rayons qu'ils avaient encaissés. Les officiers du pont n'avaient pas eu cette chance.
Le Cryptek n'avait prononcé qu'un seul mot de son langage étrange lorsqu'ils étaient soudainement apparus de leur réalité cachée au sein même du vaisseau. "Neutralisation". Les prodiges de la physique quantique maîtrisée par cette race leur avait permis cette arrivée impromptue.
Celui qui avait été épargné avait le regard terrifié et l'air hagard, sentant le contrôle le plus complet réduire son libre-arbitre à néant.
A une vitesse ahurissante, les scarabées psychophages du Cryptek envahissaient son crâne, saturaient ses pensées, détruisaient sa volonté. Il n'était plus qu'un pantin, victime de gestes qu'il ne maîtrisait plus.
- Sortie... Warp... avait dit le Cryptek d'une voix glaciale.
Ces deux mots prononcés dans son langage avaient été un ordre pour l'officier. Les scarabées n'avaient pas la capacité de le forcer à deviner des choses pour eux ; mais le forcer à faire des choses dont il était capable était plus que jamais dans leurs cordes.
Impuissant, il s'était souillé d'urine en accomplissant avec automatisme les ordres de ceux qui violaient son esprit par une technologie à la puissance aussi subtile que terrifiante.
Ils étaient sortis du Warp à la seconde où le Navigator avait reçu les instructions du dernier survivant de la capitainerie lui réclamant une voix de sortie d'urgence. Le Navigator n'avait aucune idée de ce qui se passait sur la passerelle de commandement, et avait obéit.
A présent, le vaisseau était dans l'espace réel, et le caisson où se trouvait la cible était à portée de main. Leur flotte devait déjà s'être mise en chemin pour les rejoindre.
Le travail des Traqueurs n'en était pas terminé pour autant.
- Désignez la cible, demanda l'un d'eux au Cryptek.
Instantanément, des images de chacun des Space Marines défilèrent dans le flux quantique et continu de leurs données internes. Chacun d'eux était une menace. Chacun d'eux devait disparaître.
L'escouade de Traqueurs disparut de la réalité une nouvelle fois, se cachant dans une dimension qui resterait à jamais inconnue de l'humanité. Ils s’apprêtaient à frapper.
L'officier humain accueillit la mort avec une terreur absolue lorsqu'il s'arracha lui-même la gorge de ses mains nues.
Le Cryptek recoupa ses données et désigna une cible prioritaire. Le mortel hirsute au visage poilu était le premier à devoir subir leur sentence de mort.
- Confirmé, répondirent simplement les traqueurs.
La chasse pouvait commencer.