Treize Destroyeurs de classe Cobra ; deux frégates de classe Firestorm ; un croiseur de classe Overlord.
La flotte pirate de l'amiral Merlinel était l'une des plus rapides de l'Ultima Segmentum. Elle avait été amoindrie après plusieurs opérations de pillage menées dans les régions les plus isolées possibles. Convois de transport miniers, mais aussi enlèvements de hauts personnages contre rançon, vols de vaisseau, extorsion de fond auprès des gouverneurs des planètes les moins importantes... Merlinel disposait depuis longtemps d'un commerce juteux, et sa façon de privilégier les vaisseaux rapides lui avait toujours permis de s'échapper des traquenards qu'on lui avait tendu. Le fait d'officier en tant que corsaire pour nuire aux concurrents de Byzantia n'était pas pour gâter ses affaires.
Azador avait à l'encontre du vieux briscard une haine absolue, gravée dans le marbre de son esprit. Il avait passé deux ans à réunir des preuves de son lien avec Byzantia. Des centaines de documents, des preuves sous formes d'holopics, de vidéos, des rapports d'engagement, des ordres de missions cryptés... réunir tout ça lui avait demandé des efforts et une patience dont il ne se serait jamais cru capable. Il avait obtenu de quoi faire tomber l'Archimagos malgré sa haute autorité. Et Drusille avait ruiné ses efforts.
Priver Merlinel du soutien de Byzantia aurait sans doute considérablement ralenti ses activités, mais l'Archimagos avait pris soin de son homme de main. Quelqu'un pouvant se salir les mains en ayant jamais à craindre les autorités précisément parce qu'il les défiait, cela représentait de trop belles opportunités.
- Je ferais cracher ses boyaux à ce fils de putain... cracha Azador en regardant la flotte au grand complet leur arriver dessus sur les radars de la passerelle. Et après, la putain en personne !
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Tu as toujours aimé à me rappeler mes pauvres origines, dit la voix de Drusille sur un réseau privé dans le casque de l'interrogateur.
Je me demande si c'est du mépris pour ceux qui ne sont pas nés avec ta chance, ou si c'est un problème spécifique aux filles de joie. Que t'est-il arrivé ? Escroqué dans une maison de plaisir ? Un membre de ta famille tapinait dans les bas-fonds de...- Je n'ai aucun problème avec les prostituées, interrogatrice. Mais il y a une différence fondamentale entre une pute et une prostituée.
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Et qu'est-ce donc ? demanda la voix amusée de Drusille.
Partage donc avec moi ta sagesse, tu parviens à attiser ma curiosité.- L'honneur, répondit simplement Azador. Une femme qui vend son corps n'en manque pas ; elle assume ses actes, elle suit des règles. Une pute en revanche, ça te poignarde dans le dos à la première occasion. Pourquoi crois tu qu'on dit "faire un coup de pute" ?
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De vraies paroles d'un expert en la matière, à n'en pas douter. C'est ainsi que tu comptes défaire nos amis en approche ? A grands coups d'arguments ?- Non, répondit laconiquement Azador en commençant à pianoter sur les claviers de la passerelle. J'ai mieux en stock. Une belle faille à laquelle tu n'as pas pensé.
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Ho vraiment ? Quelle humiliation pour moi qui ait pourtant le même grade que toi. Empresse toi de m'éclairer, veux-tu ? Je veux absolument profiter de tes compétences, avant que l'on ne t'achève.- Tu ne réalise toujours pas ? Il leur faut le caisson et son précieux contenu, donc ils ne peuvent pas nous tirer dessus. Dès lors, que les vaisseaux soient un ou cent ne change rien. Un abordage est indispensable.
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Et vous êtes moins de dix...-
Nous sommes la Deathwatch... dit sombrement la voix de Wulfric.
***
- Ils seront là d'ici très peu de temps, tout le monde a pu refaire le plein ? demanda le capitaine en s'emparant de nouveaux chargeurs qu'il fixa à son armure.
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Affirmatif, répondit Ambrosius, le claquement sec d'un chargeur coulissant dans la chambre à munitions du Bolter, rapidement suivi par Ryanor, Nolt et Gregor.
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Armé et paré, ajouta Tenaka.
- Tu vas t'en sortir, cul-de-jatte ?
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Sauf votre respect capitaine, même ainsi je suis toujours moins lent que vous.Wulfric éclata de rire, et ce son qui irritait tant l'équipe quelques mois à peine auparavant eut quelque chose de rassérénant. Personne au sein de l'escouade ne l'admettrait, mais combattre et voir périr des frères ensembles les avait rapproché comme s'ils avaient fait partie d'un même chapitre. Peut-être plus, d'une certaine manière.
L'escouade s'était dispersée à divers points clef du vaisseau afin de pouvoir prévenir un abordage venant de n'importe où. Tenaka avait put remettre son armure réparée à la hâte, ("rafistolée comme dans un cauchemar de technoprêtre ivre" selon Wulfric), mais il restait terriblement diminué. Ambrosius était affecté à la protection rapprochée du caisson. Il était le dernier rempart. C'était un honneur, le Black Templar en avait conscience, mais il n'avait pas fait de commentaire sur cette affectation. Malgré tout, il ressentait la confiance de Wulfric, et il réalisait qu'au delà de son propre sens du devoir, il souhaitait honorer cette confiance, comme si elle lui avait été accordée par un autre Black Templar.
Il ignorait si Dorn et Russ s'étaient bien entendus, dix millénaires auparavant, mais il pensait que si leurs fils leurs ressemblaient ne serait-ce qu'un peu, cela avait dû être le cas. Parfois, la sauvagerie brutale d'une philosophie de vie résolument libre et fidèle à de grands idéaux pouvait s'accorder avec la discipline la plus résolue.
Chacun était à son poste, et Azador tentait d'utiliser le très peu de temps qu'il leur restait pour réinitialiser les systèmes d'armement internes du vaisseau. Il avait pu régler les scanners internes du vaisseau pour qu'ils détectent une présence près des balises psychiques de détresse, et il n'en avait trouvé qu'une. Drusille n'avait pas l'air de souhaiter bouger. Elle savait que ce n'était qu'une question de temps avant que le vaisseau déjà désemparé ne tombe aux mains des pirates. Ils devaient être des centaines, tous bien armés et vétérans de multiples abordages. Nul doute que les Marines allaient en emporter un très grand nombre avec eux, mais ils n'avaient pratiquement pas pu se reposer une fois depuis qu'ils étaient descendus sur la planète. Leurs armures étaient toutes endommagées à divers degrés, et tous avaient reçus des blessures, parfois seulement superficielles, et parfois non. Sandro était en stase, Wulfric avait plusieurs côtes cassées à cause des chocs des tirs reçus sur son armure, Tenaka était privé de ses jambes... et ils étaient privés à jamais de Quintus et Eriksson...
Oui... Ils emporteraient avec eux énormément de ces mortels déloyaux, mais l'absence d'un terrain favorable et en croulant sous le nombre, aucun d'entre eux ne se faisait d'illusions. Aucun d'entre eux n'envisageait non plus un seul instant de faire quoi que ce soit d'autre que se battre.
Wulfric l'avait dit : ils étaient la Deathwatch.
***
Merlinel se tenait assis sur son trône de commandement, observant le petit vaisseau impérial comme un requin aurait observé un grox en train de se noyer. Il avait conscience que cela serait difficile pour ses hommes, aussi avait-il tenu à leur offrir le meilleur matériel possible. Les fusils radians laser avaient été pensés pour traverser les armures énergétiques de part en part, et il avait pu vérifier leur efficacité en s'en prenant à un Space Marine du Chaos bien des années auparavant, quand "servir l'Imperium" avait encore une signification pour lui.
Tous les pirates qui allaient participer à l'abordage étaient équipés d'armures carapace, et avaient été prévenus qu'il faudrait tirer pour tuer sans sommation. Il les avait préparés comme s'il s'était apprêté à lancer l'assaut sur un Space Hulk, et en cela, il avait été intelligent. Sous-estimer des Space Marines n'était pas une erreur que l'on pouvait commettre plus d'une fois.
Il n'avait aucune envie de faire ça.
Il respectait les Anges de l'Empereur, même s'il avait abandonné tout idéal concernant l'échiquier inique qu'était l'Imperium à ses yeux. Et même ainsi, dans cette position de supériorité, il savait qu'il prenait un risque abyssal. L'Inquisition serait obligée de le traquer officiellement, et il n'allait plus pouvoir être en sécurité nulle part pour le reste de sa vie déjà bien entamée. Mais Byzantia avait de la ressource ; il lui avait promis un cuirassé de classe Retribution, et pareil cadeau ne pouvait pas se refuser. Peu lui importait comment Byzantia obtiendrait pareille merveille, cela n'était pas ses affaires. Toutefois, il voulait tout de même tenter quelque chose, en sachant que c'était peine perdue.
- Monsieur Tzan, ouvrez moi une communication avec eux, voulez-vous. demanda l'amiral pirate d'une voix fatiguée mais qui ne tremblait pas.
L'officier ne répondit pas et s'exécuta. Merlinel n'avait pas habitué ses hommes à s'exprimer autrement qu'en cas d'absolue nécessité.
- A toutes les personnes présentes dans la coquille de noix, commença l'amiral, j'ai cru comprendre qu'il y avait un objet précieux entre vos mains, et je me propose de vous en soulager. Je sais qu'il y a de... puissants guerriers à l'intérieur. C'est tout particulièrement à eux que je m'adresse : vos vies sont précieuses, irremplaçables, et ne méritent pas d'être gaspillées pour une babiole que je vais revendre à qui de droit. Je vous conjure de vous épargner une mort inutile et une défaite infamante : mettez l'objet dans une navette et larguez la dans l'espace, nous nous occuperons du reste. Je n'ai vraiment aucune envie de perdre des hommes pour ça, et encore moins de devoir m'en prendre à des personnes de... valeur. Obtempérez, ou mourrez.
Il n'y eut aucune réponse pendant un long moment, jusqu'à ce que la voix grave et profonde de quelqu'un qui n'était pas tout à fait humaine ne résonne sur tout le pont de commandement du vaisseau pirate.
-
Viens danser avec nous, sale traître. Je vais t'apprendre les pas de Fenris.Merlinel contint un rictus d'angoisse à ces mots, et se contenta de répondre :
- Belle mort à vous. avant de couper la communication.
Il ne s'écoula qu'un instant avant que l'amiral déchu ne hurle ses ordres.
- Toutes les torpilles d'abordage en action ! Transformez moi cette épave en passoire ! Je ne veux pas que nos hommes envahissent ce vaisseau, je veux qu'ils y pullulent ! Exécution !
Avec une discipline acquise pendant des années de service, ceux qui avaient jadis été de loyaux sujets de l'Imperium transmirent les ordres et s’apprêtèrent à commettre l'irréparable en connaissance de cause. Le pillage et la fuite était leur vie depuis trop longtemps pour qu'ils s'inquiètent des conséquences.
***
Azador fixait avec angoisse les radars en s'acharnant sur le cogitateur pour régler les systèmes de défense extérieurs, après être parvenus à réinitialiser une partie de ceux des couloirs du vaisseau. A sa maigre échelle, il espérait qu'il pourrait aider à faire la différence. Une seule torpille, un seul tir de laser extérieur, c'était peut-être des dizaines d'ennemis en moins, et par l'Empereur, il n'envisageait pas plus de se rendre que les membres de son escouade.
"Son" escouade, songeât-il en souriant.
Je n'ai décidément pas l'âme d'un modeste.Les vaisseaux s'approchaient, en formations disciplinées, et Azador maudit Merlinel pour son efficacité. Il agissait comme s'il s’apprêtait à assaillir une forteresse spatiale, preuve qu'il leur accordait un crédit parfaitement justifié. Ce salopard de Byzantia savait choisir ses hommes, même quand il engageait des pirates.
Les petits hologrammes représentés en rouge sur l'écran s'approchaient, s'approchaient, encore et encore, à la vitesse mesurée d'un chasseur tranquille. Azador pianotait furieusement en essayant tout ce qu'il connaissait pour réinitialiser les systèmes d'armement, mais les Nécrons avaient fait trop de dégâts. La façon dont ils les avaient piratés n'avait pas eu grand chose de subtil : à l'instar de leurs armes, ils avaient écrasés les codes de l'Esprit de la Machine du vaisseau comme on écrase un ennemi sous sa botte. Cela n'avait pas été qu'un simple piratage : une guerre avait eu lieu dans l'esprit du vaisseau. Une guerre dont les blessures étaient toujours ouvertes comme les plaies de plusieurs membres tranchés.
Et les silhouettes s'approchaient.
Dans cinq minutes, elles seraient parfaitement visibles depuis la baie d'observation. Dans six, un véritable déluge d'ennemis en torpilles d'abordages allait s'abattre sur eux.
Soudainement, de nouveaux voyants d'alerte s'allumèrent, montrant une flotte au grand complet qui émergeait du Warp.
Du Warp.
Cela ne peut pas être les Nécrons, songeât Azador.
Ce ne peut pas être Byzantia non plus ! Quoi maintenant ?! Des Orks ?! Le Chaos ?! Des Eldars ?! Une crevette en chaussette ?!Une communication entrante ôta tout doute assez rapidement.
-
Ici la barge de bataille Hammer of Nocturne, aux commandes du capitaine Dac'tyr des Salamanders.
Nous avons reçus un signal de détresse de priorité Magenta via-balises psychique. Identifiez vous sur le champ.Azador ne resta interdit qu'un instant, n'osant même pas en croire ses oreilles. Les mains tremblantes, il s'empara des canaux de communication avec fébrilité, priant pour ne pas avoir affaire à un mirage.
- Ici... Ici l'Emperor's Scalpel de la très sainte Inquisition de Terra, au service de la Deathwatch. Des Xénos nous ont désemparés, et des pirates nous attaquent ! L'Empereur soit loué, vous êtes arrivés à temps ! Ceci est un appel de détresse prioritaire !
-
Capitaine Wulfric, de la Deathwatch, se présenta le Space Wolf pour confirmer les propos d'Azador.
Nous nous apprêtions à donner une raclée aux apprentis navigateurs ici présents, mais si vous voulez vous faire les dents, nous sommes prêts à partager avec vous.-
Bien noté, frère capitaine, répondit le Salamander.
A toute la flotte, éradiquez moi ces traîtres. Les vaisseaux de Merlinel n'avaient pas attendu que l'échange verbal se termine pour commencer à faire demi-tour, tirant furieusement sur leurs moteurs pour les forcer à éviter de se retrouver à face à face avec une flotte éclectique de vaisseaux impériaux commandés par l'un des plus grands bâtiments de guerre Space Marine.
Quelques tirs sporadiques servant plus de sommation qu'autre chose partirent des vaisseaux les plus rapides tandis que les forces de Merlinel entraient en déroute sans même avoir tiré un seul coup de feu. Ils mettaient l'intégralité de leurs efforts dans leur fuite, et ils avaient parfaitement raison.
Azador Jubilait, mais voulait s'interdire de crier autant que possible. Montrer son soulagement, (et surtout à quel point il était soulagé), aurait été indigne de quelqu'un qui se serait prétendu prêt à mourir cinq minutes à peine plus tôt.
Il ne remarqua que bien trop tard que la navette Arvus de leur vaisseau venait de quitter les hangars dont les portes avaient été ouvertes avec un code de piratage à usage unique. Drusille s'enfuyait pendant qu'elle en avait encore le temps.
Azador faillit demander aux forces alliées d'ouvrir le feu sur elle, mais il s'en abstint, et préféra ouvrir un canal vocal avec sa navette. Sa voix tremblait sous l'émotion provoquée par le triomphe grandiose qu'il était en train de vivre.
- Alors ma belle, notre hospitalité n'était plus à ton goût ?
-
Va te faire foutre, Azador !- Ça, c'est ta spécialité Drusille. Mais ce n'est pas le propos. Je pourrais te faire tuer ici et maintenant, mais je préfère largement l'idée de te vaincre moi-même, que ta défaite soit totale. C'est une faiblesse de ma part, mais après tout, toi et ton maître êtes assez humiliés pour le prochain siècle, inutile d'en rajouter. Transmets simplement ce message à ton ami Byzantia, veux-tu ? "No Deus mechanicus. Deus Ex Machina", il devrait comprendre.
Puis il coupa la communication sans lui laisser le temps de répondre, éclatant d'un rire porteur d'une joie inégalable alors que le titanesque vaisseau Space Marine passait devant sa baie d'observation en envoyant quelques charges laser vers des cibles trop rapides pour être rattrapées.
- Mon Empereur aimé de tous, murmura l'Interrogateur en souriant, qu'il ne soit pas dit que vous n'avez pas le sens de l'humour.
Puis il s'écroula sur le trône de commandement du vaisseau, et extirpa une bouteille d'alcool raffiné qui reposait dans un placard réfrigéré dissimulé dans le sol. Un verre ne serait pas de trop, songeât-il, espérant que l'on vienne les chercher avant qu'il n'ait finit la bouteille.