Aleria était dans sa chambre au confort spartiate, travaillant ses bras et ses abdominaux. Lors de son arrivée sur ce sinistre caillou qu'on osait appeler un monde, elle avait immédiatement été amenée dans les plus profonds sous-sol du palais du gouverneur planétaire, où l'avaient attendu des quartiers assez spacieux pour être ceux d'un capitaine, du moins pour les critères de son régiment. Un citoyen impérial moyen aurait appelé ça "un placard". Elle y avait trouvé un peu de lecture, des préceptes militaires, principalement, ainsi que des livres de prière dédiés à l'Empereur, ainsi qu'un lit, quelques rangements et un écritoire. Le réseau des sous-sols disposait également d'une salle de tir où elle s'était entrainé régulièrement, massacrer des cibles ne soulageant pas un quart de seconde la frustration qui lui enserrait les boyaux.
Depuis son arrivée, on ne lui avait rien dit. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle foutait ici, ni de pourquoi on l'avait arrachée à son cher régiment. Combien de ses amis étaient-ils morts faute de ses soins d'ailleurs ? Elle essayait de ne pas y penser ; et elle n'y parvenait absolument pas.
Au moins, on ne me traite pas comme une prisonnière, pensa-t-elle pour la millième fois en autant de minutes, considérant la qualité de ses repas et les quelques endroits où elle pouvait se rendre. Mais bien vite le souvenir de tous ces serviteurs, lobotomisés ou non, qui étaient incapables de répondre à ses questions refit surface et elle jura en poussant sur ses bras pour effectuer une nouvelle pompe.
Elle continua ainsi jusqu'à l'épuisement, et partit se doucher, plus pour laisser l'eau glacée laver sa frustration que par soucis d'hygiène. Au régiment, elle avait l'habitude de simplement se frotter avec de l'eau claire et des savons médicaux, exceptés en cas d'opération requérant un milieu stérile bien-sûr. Quand ils avaient la chance de profiter de vrais espaces dédiés aux soins du corps, elle et les "Gueulardes" du groupe se lavaient toutes en même temps, menaçant les hommes des pires tortues s'ils devaient tenter de les espionner, et se vexant terriblement s'ils n'essayaient pas. Se doucher seule était donc pour le moins très inhabituel pour elle ; c'était un luxe, et pourtant, elle trouvait presque ça triste.
Lorsqu'elle revint dans la salle lui servant de lieu de vie elle trouva une tenue de garde complète à sa taille, lavée et repassée comme pour une parade. Elle s'apprêta à hurler, une nouvelle fois, qu'elle ne voulait pas que l'on s'introduise dans ses quartiers sans lui demander, tout en sachant que c'était absolument inutile, mais elle remarqua un détail qui l'en dissuada : en plus des vêtements, il y avait une armure carapace complète, probablement neuve. Pas d'arme.
Sans se poser la question, elle se vêtit prestement, enfilant l'armure carapace avec circonspection, ne pouvant s'empêcher de remarquer le fameux "i" trois fois barré, symbole de l'Inquisition, gravé à l'arrière du casque. C'était du sur-mesure, parfait, et considérant que personne n'était venu prendre ses mesures, elle frissonna légèrement en imaginant par quel procédé on avait bien pu déterminer avec tant de précision quelle était sa morphologie.
Aleria resta assise sur son lit un instant, cherchant un sens à tous cela, lorsque l'oreillette du comvox présent dans le casque grésilla avant de laisser jaillir une voix. Elle sursauta et jura, avant de se concentrer sur le message.
- Veuillez vous rendre dans la salle 23 dès à présent. Vous serez guidée par un serviteur. Veillez à ne pas faire attendre votre hôte. Terminé.Elle retint une réponse cinglante, du genre à faire rougir un sergent instructeur, et se leva.
La porte de ses quartiers s'ouvrit avant qu'elle n'ait seulement appuyé sur le bouton. Derrière elle, un serviteur lobotomisé l'attendait, tenant entre ses mains mécanisées un plateau sur lequel reposait une vasque d'eau en argent ainsi qu'un gobelet du même matériaux.
La médic grimaça en regardant le serviteur. Elle ne se ferait jamais à ces faciès vides de toute expression, cette fusion de chair et de machine munie d'un esprit à moitié détruit et écrasé provoquant en elle un irrésistible désir de tourner les talons. Elle le suivit néanmoins, jurant après avoir refusé l'eau proposée car elle avait une soif de tous les diables, mais elle se refusait à prendre quoi que ce soit venant de cette abomination.
Ils franchirent un grand nombre de couloirs et de pièces sans intérêt lui rappelant à quel point elle était profondément sous terre, dans un bunker réservé à l'élite de cette planète, avant de se retrouver devant une porte... absolument quelconque.
- C'est ici ? demanda-telle au serviteur avant de rire de sa propre bêtise face à son regard de poisson mort.
Elle se contenta d'ouvrir et décida de rentrer sans plus de faux semblants ; ces tarés de l'Inquisition adoraient peut-être les petits jeux subtils, mais elle allait lourdement les décevoir en la matière. Elle était franche, brute de décoffrage, et "subtile comme un gantelet énergétique pour un toucher rectal" comme le lui répétait souvent son instructeur en médecine lors de sa formation.
Prenant une grande inspiration, elle posa sa main sur la poignée de métal froid et franchit la porte, la phrase "Pas de faux semblants..." sur les lèvres.
***
Il avait été amené ici sans que quiconque prétende lui donner la moindre information, et cela ne l'avait pas dérangé un instant. Il avait été maintenu attaché des jours, nourri par un serviteur sans cervelle, et pratiquement été gardé dans un placard avec un siège de toilette intégré ; pas un instant il n'avait songé à s'en plaindre. Tout ça était trop amusant.
Une fois arrivé... il ne savait où, pour ce que cela pouvait bien changer, il avait été gardé attaché et son hygiène corporelle avait été traitée par des machines qui l'avaient récuré plus comme on aurait traité un objet qu'un être humain.
Le reste avait été... étrange. On l'avait amené dans une salle où la lumière blafarde des néons l'avait dérangé, lui évoquant une forme de laboratoire, ce qui l'avait étrangement mis mal à l'aise, car il n'avait jamais foutu les pieds sur les zones d'études d'un quelconque magos. Enfin... rien dont il se souvienne en tous cas. Dans cette salle, il avait été forcé d'enfiler une tenue fait de métal le maintenant en permanence au même endroit, puis on lui avait confié diverses armes de tir, avec lesquelles il avait été invité à s'entrainer.
Cela avait un massacre de cibles, un génocide de carton, ou encore une apocalypse d'hologrammes (un luxe exceptionnel pour un simple entrainement que d'utiliser pareille technologie). Il n'avait rien fait pour retourner ses armes contre les personnes présentes dans la salle, car il était seul. Toutes ses instructions, tout ce qui lui avait été fait, absolument tout avait été effectué par des serviteurs décérébrés. Des choses pour lesquelles le meurtre n'avait pas la moindre espèce d'intérêt. Après quoi, il avait été ramené à sa cellule soigneusement escorté par des serviteurs d'armes équipés pour défoncer un Leman Russ, ce qu'il avait pris comme un hommage à sa gloire personnelle.
Ce petit manège s'était poursuivi trois jours durant, pendant lesquels il avait été un prisonnier/tireur d'élite/condamné en sursit passablement exemplaire. En apparence.
En rechargeant une arme à munition solide, il avait subtilement pu subtiliser une balle à chaque séance, et il les avait dévissé avec un admirable savoir faire, récupérant la poudre et la dissimulant sous le pied de son lit. A ce rythme, il trouverait assez de poudre pour faire exploser la serrure magnétique de sa cellule.
Le matin (du moins le supposait-il) du quatrième jour, il avait été amené dans une salle inconnue dépourvue d'éclairage ; délié. On lui avait dit un mot ; un seul.
"Attendez."
Et il avait attendu, debout, au milieu de la pièce, dans une tenue de treillis, n'y voyant pas à un mètre.
A tâtons, il avait trouvé ce qu'il avait identifié comme un fauteuil et s'y était assis, un sourire ironique aux lèvres, prêt à prendre une balle tout comme à voir une fête en son honneur.
Au bout de plusieurs minutes, il avait vu une lumière apparaitre de façon graduelle, révélant un salon d'un luxe indécent, du mobilier précieux, des tapis coûtant le salaire annuel d'une section entière d'ouvriers, et des peintures qui auraient plus eu leur place dans les halls de palais que dans ce bunker souterrain.
- Mon nouveau chez-moi, je suppose ? avait-il demandé à voix haute. J'aimerais bien une fille aussi, ça fait longtemps.
Il avait dit cela d'un ton où perçait l'ironie, mais les caprices du hasard firent qu'Aleria ouvrit la porte à cet instant. Il la vit dans son armure carapace complète, l'air sidéré, tandis que lui souriait à pleines dents avec une expression malsaine figée sur le visage.
- Voila qui est rapide ! Et équipée pour un petit jeu de rôle en plus ?! Je n'en demandais pas tant !
Sans un mot de plus, il se jeta sur elle, la prenant au dépourvu, rêvant déjà de corps nus, et de l'odeur du sang.
***
Sa nouvelle jambe était prête.
C'était un travail remarquable, équilibré, solide, léger, imitant à la perfection une véritable partie de corps humain en termes de réactions, et il sut en un instant qu'il s'y ferait très vite. Pourtant, son membre de chair lui manquait. Une autre part de lui qu'il avait laissé sur son monde.
Il se releva doucement et testa son équilibre, sous l’œil vigilant du magos fabricator, impressionné par la carrure de cet homme qui n'était plus vraiment humain.
- Elle est parfaite...
- Correction : affirmation précédente sous-tend impossibilité de perfectibilité. Non-sens.
- Heu... quoi ?
- Module de donnée supplémentaire requis ?
- N... non. Je crois que j'ai compris.
C'était un mensonge éhonté, et si rien sur le visage lourdement modifié du Magos ne le laissait supposer, il était plus que probable qu'il l'avait bien deviné.
- Je vous remercie, maître forgeron. Je... J'ai cru comprendre que vous étiez haut-placé dans votre hiérarchie, c'est un honneur pour moi d'avoir reçu ce présent de la votre part en personne.
- Appréciations et respects marqués envers l'Adeptus Mechanicus notés et appréciés. Précision : désignation incorrecte. "Maître Forgeron" constitue terme obsolète ; Magos Metallurgicus : désignation appropriée.
- Ha... répondit simplement le garçon. Heu... données complémentaires acquises, maître... Magos.
Le garçon ne pourrait jamais savoir cela, mais si le représentant du Dieu-Machine qu'il avait eu en face de lui en avait eu la possibilité physique, il aurait probablement sourit. Avoir affaire à un natif d'un monde médiéval était pour lui une expérience particulière. Il ne comprit pas non-plus que la question qu'il lui posa par la suite était une marque... d'amabilité ?
- Désignation de l'unité augmentée présente ?
- Heu... Hein ?
- Nom ?
- Ho... Là d'où je viens notre nom nous est donné par nos parents à la naissance en présence de l'Empereur par l'intermédiaire d'un prêtre. Moi... De ce que j'ai appris ma mère est morte en couche, et elle était seule. On m'a retrouvé quelques heures après, alors je n'ai pas de nom. Cela dit... J'aime bien "Magos". Votre nom sonne bien.
- Magos : titre. Désignation factuelle. Erroné de le concevoir en nom propre.
- Ha...
Un silence pesant s'installa. Le garçon ne savait absolument pas comment communiquer avec cet homme. Il lui était déjà particulièrement difficile de comprendre ce que disaient les gens issus de cet Imperium extra-planétaire tellement plus vaste que tout ce qu'il avait jamais pu imaginer ; tenter de comprendre un membre de l'Adeptus Mechanicus était donc pour lui la chose la plus difficile au monde (et probablement la plus comique pour un observateur extérieur).
- Suggestion expérimentale.
- Pardon ?
- Suggestion expérimentale : plusieurs dénominations approchent la sonorité du mot "Magos". Possibilité d'adaptation à cette... appétence.
- Je... pardonnez moi mais je ne comprends rien.
- "Magos", ressemble à prénoms présents dans les bases de données impériales. Unité sans nom récemment augmentée peut vérifier. Exemple : Magnus.
Le garçon voulut répondre, mais sans que rien ne vint annoncer ce brusque changement de comportement, le Magos Metallurgis tourna la tête en direction de la porte et annonça d'un ton qui sembla différent :
- Message reçu. Mise en route. Unité Paria présente ; elle suit.
L'adolescent se raidit en entendant ce mot, "paria". on lui avait expliqué ce que cela signifiait, plusieurs fois, et il pensait l'avoir compris. Il pensait également avoir compris que cela expliquait l'agressivité qu'on avait toujours ressenti à son égard. Même l'espèce de paladin qui était venu le chercher et qui lui avait sauvé la vie avait été avec lui d'une froideur peu engageante. Apprendre que c'était sa nature même qui entrainait ce comportement... que le détester était "naturel", en somme, n'avait rien fait pour lui remonter le moral.
Le Magos était froid avec lui aussi, mais sa voix mécaniquement modifiée, son ton presque exclusivement monocorde et sa façon si factuelle de dire les choses le rendait froid avec tout le monde. D'une certaine façon, être traité comme les autres, même de façon glaciale, était une forme de réconfort. Il l'aimait bien, à sa façon.
- Nous... sommes attendus, je gage ?
- Affirmatif.
Sans un mot de plus, le Magos se mit en route et l'adolescent le suivit. Il se remémorait sans un son la conversations qu'ils venaient d'avoir, n'osant la reprendre.
Au fil des couloirs et des portes franchies, il rassemblait un peu plus sa volonté afin d'oser poser la question qui lui brûlait les lèvres, lorsqu'ils franchirent la porte de la salle 23, toute velléité de parler disparut de son esprit.
***
Aleria était habituée au combat au corps à corps. Les nombreux champs de bataille où elle avait dû oublier qu'elle était médic pour faire couler le sang des ennemis de l'Imperium y avaient veillé plus sûrement qu'aucun instructeur n'aurait su le faire.
Son ennemi ne portait pas d'armure, contrairement à elle. Elle était donc en droit de se penser en position de supériorité car elle pouvait mieux encaisser les coups.
Et pourtant, les faits étaient là : elle ne faisait que lutter pour survivre. Ce type... Ce malade mental qui semblait hurler et rire en même temps était comme immunisé à la douleur, et sa capacité à encaisser des mandales qui auraient envoyé au tapis bien des vétérans de sa connaissance n'était rien, absolument RIEN, face à sa vitesse de déplacement prodigieuse.
Ce type était une véritable panthère de Mantigur IV avec le cuir d'un Grox.
Aleria était presque certaine qu'il avait eu plusieurs occasions de la mettre au tapis ou de l'immobiliser, et qu'il ne les avait volontairement jamais saisies. Il faisait incontestablement
durer le plaisir ; elle avait conscience qu'elle était en danger de mort.
A quoi rimait tout ceci bon sang ?!
Elle se saisit d'une chaise brisée, ou plutôt d'un morceau de pied, et fit de grands moulinets pour le garder à distance, affichant volontairement des gestes maladroits. Elle voulait le mettre en confiance, le pousser à l'erreur, mais elle fut surprise par l'ouverture de la porte derrière elle. Un nouvel ennemi, probablement, venait d'entrer dans ce jeu sadique.
***
Lorsqu'il entra, il n'eut même pas l'occasion de réfléchir. Son corps, presque indépendant de sa volonté, agit tout seul.
Équipé de son armure fraichement lustrée il avait foncé sur les deux combattants sans sortir l'épée du fourreau, se contentant du bouclier comme arme.
De sa main libre, il avait saisi le bras de la femme et l'avait violemment tirée en arrière où elle s'était écrasée contre un meuble.
Il avait ensuite feinté, fonçant droit devant lui bouclier en avant. L'homme avait esquivé son attaque avec une habileté prodigieuse. Insuffisante. Il lui avait mis un coup de pied dans les côtes en le prenant de court : il n'avait pas anticipé qu'un homme avec une armure aussi imposante puisse l'égaler en vitesse et en agilité. Il ne lui avait probablement que fêlé quelques côtes, car il y était allé doucement. Il n'était pas censé abimer les membres de cette mission ; pas sans ordre.
***
Azador avait l'air impressionnant ; il n'avait guère de mérite, peu de monde n'aurait pas eu une prestance impériale, revêtu d'une armure énergétique.
Bien que moins imposante que celle d'un membre de l'Adeptus Astartes, cela contribuait largement à donner à n'importe quel représentant du genre humain une prestance impressionnante.
Elle avait été spécialement fabriquée sur un monde-forge ne recevant que les commandes les plus prestigieuses, recevant mille bénédictions et des dizaines d'enluminures, gravées de textes sacrés incrustés de cristaux psychiques repoussant l'influence démoniaque du Warp. Peinte du plus profond des noirs, des enluminures d'argent soulignaient la délicatesse du travail des technoprêtres qui s'étaient penchés sur cette oeuvre.
Il avançait d'un pas léger, aidé par la mécanique interne compensant intégralement son terrible poids, le casque sous le bras.
Il ressemblait exactement à ce qu'il devait ressembler : une menace permanente, implicite, figure d'autorité absolue.
Quand il arriva dans la pièce où l'attendait son équipe fraichement assemblée, Ydant, son croisé personnel envoyé par l'Adeptus Ministorum, maintenait Furius "le boucher" au sol en appuyant sur sa trachée de sa botte recouverte de métal. Aléria se tenait en retrait contre un mur en se tenant le bras gauche, le Magos Calixtène était à peine un mètre du seuil menaçant tout le monde avec une arme à feu dans chaque main ainsi que trois mécadendrites de tir, et le jeune paria sans nom qu'il avait dégotté se cachait à moitié derrière le Magos avec un air de terreur mêlé d'incompréhension.
Il s'autorisa un soupir, un unique petit soupir, avant d'entrer dans la pièce et d'aller s'installer au bureau, comme si de rien n'était. D'un ton glacial, il ordonna :
- Asseyez-vous.
Personne ne songea à désobéir. Malgré tout, il songea comme tout ça allait lui paraître long.