Ils ne connaissaient pas la peur. Aucun d'entre eux, exception faite du seul non Astartes présent, ne pouvait prétendre avoir connu ce sentiment propre aux mortels. Le psycho-endoctrinement, cumulé à des décennies d'entrainement, de préparation à faire face aux pires menaces, mais aussi une foi inébranlables en leur propres capacités, était une explication plus que suffisante pour comprendre d'où venait cette absence de peur. Et pourtant il fallait encore y ajouter plusieurs facteurs.
La colère et la rage venant prendre la place de cet insidieux sentiment ; la logique froide et analytique ; la programmation génétique éveillant l'adrénaline du combat ; l’auto-persuasion que quelle que soit la situation, un Space Marine était la menace, et jamais la proie.
Des théoriciens, philosophes ou même des Magos Biologis du Mechanicum avaient plusieurs autres théories venant s'ajouter les unes aux autres, (ou se contredire), sur le "comment" de cette absence de peur.
Et au final, peu importait l'explication : les Meilleurs de l'Empereur ne connaissaient pas la peur.
A bien des égards, cela n'avait rien d'exceptionnel.
La menace Ork, que l'humanité connaissait depuis bien avant même la Grande Croisade, avait apporté la preuve que des créatures brutales et sanguinaires étaient elles-aussi pratiquement dépourvue de cette notion. Les hérétiques rendus fous par leur dévotion aux Puissances de la Ruine se jetaient dans les bras de la mort avec une ferveur proche de l'enthousiasme. A un tout autre niveau, des nuées entières de Tyranides étaient prêtes à se jeter sur les lignes impériales les mieux protégées sans même avoir
conscience que la seule idée de peur eut jamais pu les effleurer.
Azador travaillait pour l'Ordo Xenos depuis sa prime jeunesse après qu'un des terrifiants Vaisseaux Noirs ne soit venu sur le monde où il vivait afin de chercher tous les psykers non enregistrés qui avaient été signalés aux autorités. Il avait neuf années d'existence quand ils étaient arrivés. Ils ne l'avaient capturé que lorsqu'il en avait eu onze révolu, la nature de son pouvoir l'ayant rendu plus filant qu'une anguille. En cela, être un perturbateur psy était un avantage unique. Ce pouvoir, correctement maîtrisé, permettait à son utilisateur de brouiller tous les sens d'une ou plusieurs personnes présente dans un certain rayon. La vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher, et même le goût pouvaient s'avérer être des armes étonnantes, une fois employés correctement. Être parvenu à se rendre indétectable pour un capitaine Space Wolf dans sa propre cabine témoignait de son niveau de maîtrise.
Contre les Nécrons, ce don serait selon ses propres termes "aussi utile qu'un fleuriste à un colloque du Mechanicum".
Si une chose, une seule, devait être certaine concernant cette race honnie, c'était que son potentiel psychique était littéralement et sans exagération dans le
négatif. Utiliser son potentiel sur eux était donc impossible, bien qu'il eut été exagéré de la qualifier d'inutile : lorsqu'il avait dévoilé la nature de la mission au groupe, Eriksson avait à nouveau tenter de le frapper, de son gantelet cette fois-ci, pour se rendre compte quelques instants plus tard que l'interrogateur était à plusieurs mètres derrière lui.
Il avait fallu toute l'autorité d'un Wulfric irascible pour le faire rentrer dans le rang, et depuis lors, ils avançaient dans les ténèbres, les casques de leurs armures constituant les uniques sources de lumière dans ces couloirs oppressants.
Le silence radio était absolu, et le groupe faisait tout son possible pour que leurs pas soient inaudibles. Ryanor ne pouvait s'empêcher d'avoir l'impression qu'il était l'unique oiseau de proie au milieu d'un troupeau de grox.
Ils n'avaient pas encore subit un seul assaut ; cela n'était pas rassurant du tout.
Azador avait expliqué que si les créatures métalliques qu'ils avaient affrontés étaient les gardiens primaires, cela signifiait que toutes les forces mécanisées de cette citée-crypte savaient pour leur arrivée. A chaque seconde qui passait sans qu'ils soient inquiétés, il ne faisait aucun doute qu'ils se jetaient dans un piège. Et avancer était la seule option. Ça, ou échouer. Et si dangereuse que pouvait paraître la situation, aucun d'entre eux ne l'avaient envisagé ne serait-ce qu'un instant.
***
La hiérarchie de la nécropole était d'une simplicité conférée par le pouvoir absolu de son Haut Seigneur. Celui-ci reposait au cœur d'une planète terriblement éloignée, pour quiconque n'aurait pas bénéficié de cette technologie qui était la leur. Ce monde-ci en revanche, était le plus faible et le moins bien défendu du système planétaire de ce secteur.
Cela ne changeait rien à son statut : il était un Seigneur et seuls ses pairs des autres planètes pouvaient prétendre l'égaler. Cela n'avait d'ailleurs guère d'importance : la notion de rivalité était inexistante chez eux. Leur objectif : rigoureusement le même. Leur autorité : égale. Leur fidélité envers le Haut Seigneur : indéfectible. Tous partageaient l'éternité conférée par les Dieux des Étoiles avec le même but et ne plus avoir d'âme était en cela une bénédiction pour eux. Pas de jalousie, de conflit interne, de querelle d'autorité... Rien que la froide et absolue obéissance à des ordres aussi impossible à ignorer que la réalité elle-même. Une technologie inégalable ; des protocoles tactiques élaborés sur plus de temps qu'aucune espèce n'avait jamais connu.
Le Seigneur de la crypte s'était levé de son sommeil millénaire avec l'idée qu'il était insurpassable.
De son vivant, il avait été d'un tempérament méticuleux à l'extrême, refusant d'ignorer le moindre détail, le plus petit grain de sable risquant de venir gripper la machinerie bien huilée de ses plans. A présent qu'il était ce qu'il était, cela faisait partie de sa routine tactique. Vaincre : non. Éradiquer : oui.
Son bâton en main, entouré de guerriers, il tissait autour des intrus une toile dont ils semblaient vaguement avoir conscience, étant donnée l'attitude méfiante et discrète dont ils tentaient pitoyablement de faire preuve.
le Seigneur en tira des déductions basiques et choisit de continuer à les laisser avancer. Ils seraient bientôt là exactement où il le souhaitait.***
Autour d'eux régnait une étrange et dérangeante odeur d'ozone et de terre froide, couplée à celle du métal chauffé à blanc qui serait en train de refroidir. Wulfric, qui avait déjà participé au démantèlement d'un culte dédié aux puissances de la Ruine avait eu l'occasion de sentir des fragrances autrement plus gênantes. Des vapeurs d'opiums parfumées au sang humain et alien mélangé, des encens capiteux issues de plantes censées ne pas pouvoir exister, ou même de la bile de créatures du warp utilisée pour des usages qu'il préférait oublier à jamais... Tout cela était bien pire que ce qu'il sentait ici. Et pourtant, son impression de malaise était supérieure.
***
Ils y étaient presque, analysa le Seigneur sans nom dont l'esprit artificiel était connecté à chaque particule de cette cité. Il pouvait presque sentir leurs pas. Encore un peu. Encore... Encore...***
Azador fit le signe militaire ordonnant de stopper l'ordre de marche immédiatement, et tous obéirent avec circonspection. Cette salle n'avait rien d'exceptionnel par rapport aux dizaines d'autres qu'ils avaient déjà traversées, et rien ici ne semblait indiquer qu'ils s'étaient seulement rapprochés de l'objectif.
Les serviteurs qui transportaient le caisson étaient les seuls à rester parfaitement immobiles, les Marines regardant partout autour d'eux par sécurité, plafond compris.
"Que se passe-t-il ?", demanda finalement Wulfric en langage des signes.
"J'ai mal à la tête, soudainement." répondit Azador en utilisant une tablette de données faisant s'afficher ce qu'il écrivait directement dans le casque de chacun d'entre eux. "Votre structure améliorée vous protège mais je peux sentir de l'électricité statique ici. Cet endroit est diff..."
Lentement, inexorablement, le sol commença à s'ouvrir sous leurs pas, révélant en dessous la gueule d'un canon crépitant d'arcs énergétiques verts comme la plus pure des émeraude. Le sol ne s'était pas ouvert de plus d'un micron lorsque les capteurs des armures des Astartes s'emballèrent instantanément comme s'ils s'étaient retrouvés au sein même d'une tempête électrique assez fort pour faire s'écraser une nuée de Walkyrie. ils pouvaient toujours marcher car une forme de grille était restée en dessous du sol, mais le canon aux proportions démentielles qui se trouvait en dessous n'aurait aucune difficulté à libérer son arc énergétique à travers elle.
Tous avaient déjà vu cela. Ces assemblages monumentaux étaient la première ligne de défense des Nécrons quand on se présentait en masse sur leurs mondes. Tueurs de titans, batterie de DCA pouvant tirer jusque dans l'espace... En prendre des images était presque facile. Le Mechanicum avait opté pour le nom de "Pylône à Fission", lorsqu'ils avaient vus pour la première fois les images de ces structures de cauchemar jaillissant hors du sol depuis des cavités à l'emplacement insoupçonnables l'instant d'avant. Azador et son escouade étaient prisonniers dans l'une d'entre elles, des portes semblant faites d'obsidienne parfaitement taillée à l'atome près s'étant refermées à l'instant même où le sol avait commencé à s'ouvrir.
D'ici quelques secondes, l'escouade allait subir de plein fouet dans un couloir clos un tir suffisant pour éparpiller plusieurs titans.
***
Le timing était parfait. La synchronisation des éléments impliqués : impeccable. D'ici quelques instants les intrus seraient vaporisés, réduits à l'état d'atomes dispersés aux quatre vents de ce monde mort. Ce serait exactement comme s'ils n'avaient jamais existé.
De l'appareil synthétisant sa voix morte, glaciale et métallique, jaillit pour la seconde foi un son. Un mot.
"Tuer..."***
- Que fait-on à présent ?! hurla Quintus désemparé. Les tirs d'armes à fusion et les coups d'épées énergétiques entament à peine les portes !
- Essayons la grille ! répondit Ryanor. Tomber de quelques dizaines de mètres sous l'arc de tir est toujours mieux que...
- Suivez moi ! cria Azador en armant le pistolet intégré au gantelet de son armure. Amenez le caisson avec vous, VITE !
Plusieurs d'entre eux ne cherchèrent pas à réfléchir, partant du principe qu'en bon dissimulateur, ce membre de l'Inquisition disposait d'un atout spécifique dans sa manche. D'autres comme Eriksson ou Gregor tentèrent à deux ou trois reprise de suivre le plan de Ryanor pour constater que rien ne parvenait à entamer ce grillage au sol correctement. Ils rejoignirent donc le groupe vers la porte située à l'autre extrémité de la pièce, à l'opposée de là où ils étaient entrés.
Azador laissait son pistolet se charger d'une énergie étrange qui fit se dresser les poils de chaque personne présente même à travers l'armure.
Sous eux, le canon semblait sur le point de libérer sa charge. Il ne l'avait probablement pas déjà fait uniquement parce que la cité était en phase de réveil, et que les énergies mettaient du temps à s'accumuler dans les cristaux des armes. Un temps qui venait de s'écouler.
***
Le Seigneur commença à détourner son esprit de la pièce. Ils étaient déjà morts pour lui. Il avait d'autres tâches à organiser. ***
Azador, presque collé à la porte, envoya une décharge qui se répandit comme une onde de choc droit sur la porte sans se disperser. Celle-ci se releva puis se rebaissa instantanément avant de se lever à nouveau, rendue comme folle. Wulfric et Ryanor étant les deux premiers Marines en tête de groupe juste derrière l'interrogateur, ils saisirent la porte relevée à pleine main et l'empêchèrent de se refermer.
- Vite ! Hurla simplement Azador.
***
La décharge partit comme le souffle implacable d'un dieu enragé. A une si faible distance, tout fut vaporisé, jusqu'aux plus petites molécules d'air. Depuis l'immense tunnel constituant le chemin automatisé qu'était censé prendre le pylône pour rejoindre la surface, le tir partit en répandant sa charge dans les murs, qui l'absorbèrent. Un arc électrique vert surpuissant et encore assez concentré pour éventrer trois Land Raider à la suite se dispersa dans l'air. Les brumes extérieurs se chargèrent de la concentration électrique, et les vents se mirent à souffler plus fort. Les catacombes étaient en éveil, et le ciel hurlait.