Et avec presque une heure de retard, voici le dernier chapitre en date, en espérant qu'il sera à votre goût !La navette évitait les impacts autant que possible mais la tempête de sable, pourtant enregistrée comme insuffisante pour lui causer du tort, semblait comme projeter des coups qui venait frapper la coque avec une totale irrégularité. Les Space Marines et l’interrogateur toujours sanglés sentaient profondément les vibrations des manœuvres d’évitement.
- Par le Trône de Terra, mais que ce sont choses ?! hurla le pilote dans son micro sans s’adresser à personne en particulier.
- A quoi est-ce qu’elles ressemblent ? cria Azador dans sa propre unité vox, tentant de rester calme.
- Je n’y vois rien, répondit le pilote sur un ton désespéré. Elles sont dans une micro tempête de sable et n’en émergent que pour attaquer. J’ai juste des immenses ailes sans plumes et des dents de la taille d’un avant-bras en visuel. Elles rentrent dans la tempête aussitôt après avoir attaqué.
- Ce n’est pas possible… dit Azador sur un ton où perçait un total effarement. Est-ce que vous avez vu un dard ?
- Quoi ?
- Est-ce qu’elles ont une extrémité spéciale ?! Un dard ou un n’importe quoi pour administrer du venin ?!
- Négatif ! Je… Par l’Empereur ! La navette Arvus a une aile perforée, elle tombe en faisant des cercles ! Doit-on la suivre ?
- Négatif, répondit Wulfric. Hors de question de se retrouver coincé au sol sur un monde comme celui-là ! Les saloperies nous suivent toujours ?
- Non capitaine. Je nous ai éloignés du nuage de sable. Les choses se calment mais…
- Sans ce caisson il n’y a plus de mission capitaine ! Il nous le faut absolument !
- Vous pensez encore la mission d’actualité alors que notre unique billet de retour est en danger permanent et celui de votre précieux caisson percé de part en part ?! A ce niveau-là ce n’est plus du zèle, interrogateur, c’est de l’aveuglement !
- Pilote, localisez la zone de crash et déposez nous immédiatement ! répliqua Azador sans sourciller. La mission n’a pas changé. Est-ce clair ?!
Le pilote réagit immédiatement et obéit sans une hésitation aux ordres de l’interrogateur. Wulfric l’ignorait, mais le serviteur de l’Ordo Xenos avait fait absorber des micros bombes à commande vocale au pilote afin de s’assurer une collaboration pleine et entière de sa part. Et séparé de la cabine par une cloison blindée, il avait plus de raison de craindre l’interrogateur que la troupe d’Astartes toujours enfermée et sanglée à l’arrière.
Ils furent très vite au sol, à quelques dizaines de mètres de la navette Arvus dont une aile perforée envoyait vers le ciel des volutes d’une fumée noire et huileuse. Sur sa coque se trouvait une énorme masse flasque et d’une couleur marron clair imitant parfaitement la couleur du sable de ce monde.
Il ne fallut pas plus de quatre secondes pour que l’escouade au grand complet soit dehors et prête à faire feu. Wulfric eut du mal à ne pas éviscérer directement l’interrogateur qui était lui aussi sorti avec eux, son masque bien fixé et l’arme à la main. Celui-ci ne se posa pas même un instant la question de savoir si les Astartes le suivraient ou lui obéiraient : il ordonna comme s’il avait fait cela toute sa vie :
- Tirez au bolter sur ce monstre. Aucune arme plus lourde ! N’endommagez pas davantage la navette.
L’escouade au grand complet fut interloquée de cette attitude à laquelle personne ne se serait attendu quelques minutes à peine plus tôt. Un mortel donnant des ordres aux Meilleurs de l’Empereur, c’était une forme de non-sens, une anomalie confinant le donneur d’ordre au rang des plus hauts personnages, ou à la folie. Se comporter ainsi avec eux revenait à une forme de suicide, et son air confiant et plein d’autorité tranchait royalement avec sa taille ridiculement petite comparée à la leur.
Pourtant, ceux d’entre eux munis d’un bolter ou d’un pistolet bolter ouvrirent le feu sans hésiter quand ils virent plus précisément ce à quoi ils avaient affaire.
La créature semblait pesante et flasque comme un poisson mort reposant sur une plage. Elle avait l’aspect d’un poisson d’ailleurs, une de ces gracieuses raie manta qui parcouraient de si nombreux océans sur tant de mondes impériaux. A ceci près que la chose qu’ils avaient sous les yeux avait des dents sur l’intégralité du ventre, et semblait mordre dans le blindage de l’Arvus, un peu plus à chaque instant, alors que l’appareil avait une coque aussi résistance que celle d’un rhino.
Elle accueillit les tirs avec un sifflement qui devait être l’unique cri dont elle était capable et explosa mollement là où les bolts la frappèrent, répandant des morceaux de chair molle partout autour de la navette.
- Vous allez immédiatement me dire ce que sont ces choses que vous semblez si bien connaître, interrogateur, sans quoi je jure au nom du Père de Tous que je vous offre au reste de sa famille !
- Une espèce répertoriée comme éteinte par l’Ordo Xenos depuis deux-mille ans environ, capitaine. On les appelait « manta charibdienne » jusqu’à leur extermination supposée dans le sous-secteur local. Ceux-là sont plus petits que ceux que j’ai pu observer sur les tablettes de données, et un peu moins dangereux. Ils n’ont pas de dard contenant de l’acide comme leurs cousins disparus. Ceux sur lesquels nous avions fait des prélèvements avaient révélés une forme de composé réactif chimique plus agressif que le bio-plasma Tyranide. Ils ne pouvaient en produire qu’une très mince quantité mais ça ne nous a pas empêché de perdre des dizaines de navettes. Ceux de ce monde, à ce qu’il semble, n’ont pas cette capacité, mais ils mordent bien plus durement.
- Et comment se fait-il que vous ignoriez tout de leur existence ? demanda Sandro en rageant fortement, changeant le chargeur de son bolter. Vous disiez avoir observé cette foutue planète bon sang !
- Nous l’avons fait ! cria presque Azador d’une voix plaintive. Mais ces créatures passent presque toute leur vie sous le sable à attendre qu’une tornade ne vienne les décrocher du sol, elles sont jusqu’alors indétectables.
- Et une fois happées par le vent, compléta spontanément Ryanor, elles montent avec le sable et se laissent glisser sur les courants d’air en quête d’une proie. Au milieu d’une tempête de sable elles sont presque invisibles pour une sonde ou un scanner.
Toute l’escouade, Azador inclus, resta muette de stupeur. Le Raptor avait livré une analyse parfaite et deviné avec exactitude tous ces détails. Ses frères semblaient médusés.
- C’est… rigoureusement exact, dit Azador qui tentait de se donner une contenance. Comme l’oxygène est limité sur leurs mondes, ces horreurs ont peu d’énergie à dépenser. Elles se déplacent en clan, d'où le fait qu'une tempête de sable est une pluie de coups de dents. Comment avez-vous pu conclure aussi vite…
- Cela ressemble un peu à nos tactiques, dit le fils de Corax d’un ton neutre à travers son casque. Cette déduction m’a parue logique en les observant.
Le silence se fit à nouveau. Azador en aurait presque retrouvé le sourire. Le Raptor n’était pas seulement un combattant d’exception : il réfléchissait aussi avec une célérité impressionnante. Mais Eriksson, semblant bouillir de rage, s’approcha d’un air menaçant de l’interrogateur sans même se soucier des autres.
- Et comment se fait-il qu’ils survivent ici alors ?! A part eux et ce foutu lichen dont vous avez parlé il n’y a rien de vivant ici ! Êtes-vous un incompétent total pour nous avoir menés ici dans la gueule du loup, ou simplement un menteur ?!
- Ils se dévorent entre eux, dit calmement Azador en se dirigeant vers l’habitacle du pilote de la navette endommagée, constatant son évanouissement. Les clans se reconnaissent en émettant des phéromones, et si deux vols de deux clans doivent se croiser…
- Et nous voici coincés ici avec ce caisson qu’on ne pourra pas remonter avant des jours de réparations ! vociféra le Carcharodon. C’est un fiasco monumental en plus d’une atroce perte de temps ! J’ignore ce qui me retient encore de…
- Votre discipline et votre indéfectible loyauté envers le Trône Saint et l’Être qui repose dessus, cracha Azador, ainsi que votre respect de la hiérarchie. Retournez donc auprès du capitaine Wulfric ! Lui aussi me déteste, mais il a assez de sagesse pour mettre cela de côté !
La seconde qui suivit cette phrase fut déterminante. Emporté par sa rage d’être rabroué ainsi par un mortel, Eriksson avait perdu tout contrôle et dégainé une épée énergétique pour porter dans le même mouvement un coup destiné à fendre en deux l’interrogateur. Celui-ci n’eut même pas le temps de comprendre qu’on l’attaquait alors qu’Ambrosius, pourtant loin d’être le plus proche, était parvenu à s’élancer d’un bond et à bloquer la lame avec sa propre épée. Le choc avait été d’une violence inouïe, et un souffle suffisant pour soulever un petit nuage de sable en forme d’anneau autour de la scène parcourut le lieu.
Les autres Space Marines n’avaient pas eu le temps de bouger.
Le Carcharodon appuya sa lame légèrement plus fort contre celle du Black Templar en lui disant, livide de rage :
- Écarte-toi tout de suite. Ce mortel nous traite comme ses chiens, il va le payer !
- Nous sommes ici pour une mission précise, dit calmement le croisé de Dorn. Une mission qui dépend de ce mortel. Rengaine ta lame
maintenant.
Entre temps, le capitaine ainsi que la quasi intégralité de l’escouade étaient venus faire barrage entre l’interrogateur et le Carcharodon. Ils pouvaient parfaitement comprendre la nature de sa colère, mais ils avaient tous en eux une discipline, une voie intérieure qui leur soufflait quelle route suivre, qui était plus forte que celle d’Eriksson. Pour un Space Marine, obéir et faire preuve d’une rigueur mentale absolue était une seconde nature. A plus forte raison, un passage par la Deathwatch était censé renforcer la capacité à penser par soi-même autant que celle à s’exécuter immédiatement. Aucun des membres de l’escouade ne pouvait prétendre savoir ce qu’avait l’interrogateur en tête, et Ambrosius leur avait à tous rappelé qu’il était la clef de cette histoire.
Mais Eriksson était unique au sein de cette équipe ; dans le mauvais sens du terme. Tout en rage et en emportement, son tempérament prompt à haïr lui avait valu la méfiance d’une partie de l’escouade, sans parler de ce que Tenaka pouvait bien ressentir à son égard. Nolt seul n’était pas venu en aide au mortel.
Spontanément, et sans dire un mot, il était parti vers le côté de la navette Arvus pour en dégager la manta charibdienne et la jeter sur le sol, dégouté, avant de commencer à inspecter l’aile fumante.
Le Carcharodon se dégagea en reculant d’un pas et poussa un grognement de mépris manifeste. Il semblait toujours sur le point de frapper mais c’était déjà un progrès significatif.
Insuffisant pour Ambrosius.
- Tu n’as toujours pas rengainé, lui dit-il simplement.
Remettant la lame dans son fourreau après en avoir désactivé le flux énergétique, Eriksson fit jouer ses épaules et s’adressa de loin à Azador.
- Prie l’Empereur pour que tes autorités supérieures viennent te protéger une fois tout cela terminé, petit homme. Sans quoi je te jure que tu auras l’impression que les pires enfers t’ont réservés une place spéciale.
Azador ne répondit pas.
- Puisque nous pouvons reprendre, dit Wulfric sur un ton glacial, quelle est la suite du programme ? « Nous guider pas à pas » est toujours ton rôle, mortel ?
- Oui capitaine, et merci. Nolt ! Vous pensez pouvoir réparer cet engin ?
- Le pilote a contrôlé la chute, répondit le Son of Medusa sans s'offusquer un instant que le mortel l'appelle ainsi par son nom. Le choc a été léger. Seul le trou dans l’aile pose problème mais avec le matériel minimal je peux lui assurer un vol de retour.
- Si ces mantas ne nous retombent pas dessus, cracha Quintus. Nous sommes à des kilomètres du point d’entrée que nous devions rejoindre et nous allons devoir courir avec ce foutu caisson. Rien ne nous prouve que nous n’allons pas retrouver deux carcasses fumantes au lieu des navettes !
- Aucun risque pour ça, dit l’interrogateur d’un ton rassurant, elles n’attaquent qu’en plein ciel et une fois au sol elles ne peuvent que ramper très lentement. Vous pouvez leur marcher dessus sans même vous en rendre compte, elles n’auront aucune réaction, leur dents d’attaque et leur bouche sont toutes sur le ventre.
- Combien de temps la réparation Nolt ?! demanda Wulfric toujours courroucé.
- J’analyse, répondit le Son of Medusa d’un ton métallique. Environ neuf heures. Il faut remplacer de nombreux circuits internes. Les rites qui accompagnent ces travaux sont longs.
Le Son of Medusa n’était pas Techmarine, mais cela ne changeait rien au fait qu’il était celui disposant du plus grand nombre de connaissances mécaniques. Les croyances internes de son chapitre concernant le Mechanicum étaient particulière, et cela risquait de retarder les travaux mais ce n’était pas comme si les Marines présents avaient le choix.
La cloison arrière de la navette Arvus s’ouvrit dans un bruit pneumatique laissant s’échapper des volutes d’air pressurisé. Ils pénétrèrent à l’intérieur en extrayant le caisson qui n’avait été que légèrement secoué, grâce au solide harnachement dans lequel les serviteurs l’avaient fixé. Eux-mêmes étaient pratiquement indemnes à l’exception de quelques contusions qu’ils n’étaient même pas programmés à ressentir.
Instantanément, ceux munis d’armes formèrent un périmètre parfaitement circulaire autour des deux navettes, tandis que ceux en charge du transport du caisson vinrent se placer devant Azador, attendant ses ordres.
- Que devons-nous faire à présent ? demanda Wulfric, très mal à l’aise de demander ça à un mortel.
- Idéalement, les serviteurs d’armes auraient dû nous accompagner pour protéger le caisson pendant que votre équipe s’assurait de notre avancée, mais nous ne pouvons pas laisser la navette Arvus seule ici avec son pilote évanoui et Nolt pour seul gardien. Ils vont donc rester là et jouer le rôle de sentinelles pour qu’il puisse travailler sans avoir s’inquiéter de voir arriver une mauvaise surprise, qu’elle vienne du ciel ou ailleurs. Les autres serviteurs vont porter le caisson et nous suivre, au cœur de la crypte. L’entrée que nous avons localisée est à quelques kilomètres d’ici ; à votre rythme ce sera rapide.
- Mais cinq serviteurs avec une lourde charge et un mortel, cela ne nous permet pas d’aller à « notre rythme » dit sèchement Gregor.
- C’est exact, et c’est pour cela que nous allons devoir user d’un plan de secours que j’aurais préféré éviter. Capitaine Wulfric, puis-je vous demander de nommer un second chef d’équipe ?
Tous furent surpris, ce qui put se percevoir au silence pesant qui suivit cette phrase. Wulfric devinait ou l’interrogateur voulait l’amener. Il était tacticien depuis fort longtemps après tout.
- Sandro, dit-il finalement.
Quintus et Gregor firent un commentaire désagréable que personne ne sembla vouloir relever.
- Bien, continua Azador. Sandro, Ryanor et Ambrosius sont sous vos ordres à présent. Vous allez suivre notre groupe à une distance de deux kilomètres environ et vous assurer que le caisson est en parfaite sécurité, tout en vérifiant que notre route de retraite sera sûre. Quand nous arriverons à l’entrée de la crypte, je vous transmettrai des instructions spécifiques par le canal vox. Nous partons d’ici quelques minutes, je tiens à m’assurer que le pilote de l’Arvus sera éveillé à notre retour.
- Comment savez-vous qu’il n’a pas de dégât interne ? demanda Quintus perplexe.
- Croyez-moi, je le sais, dit Azador en souriant.
Tandis que l’interrogateur tentait de réveiller le pilote en douceur, le Blood Angel s’approcha de lui, seul.
- C’était incroyablement stupide de provoquer comme ça Eriksson, mortel. Vous avez sûrement des dizaines de renseignements sur lui et son chapitre, alors vous devez connaître son caractère. Entre ça et votre comportement avec Wulfric, ainsi que l’escouade entière, j’ai l’impression d’avoir affaire à un fou suicidaire. Et on ne devient pas interrogateur en étant l’un ou l’autre ; encore moins les deux.
Azador resta silencieux.
- Pousser un être colérique à ce niveau de rage en plein milieux d’une mission pour laquelle nous avons de nombreux doutes et interrogations… Et d’un coup vous amenez le reste de l’escouade à prendre votre défense. Très spontanément. Si ce n’était pas aussi dangereux d’avoir compté sur une réaction spontanée de notre part, cela aurait été une très bonne idée pour réaffirmer votre importance au sein de cette mission, et ainsi faire taire les doutes et interrogations dont nous parlions. Le seul point qui ne tient pas, c’est que les risques de ce raisonnement comparés aux avantages supposés étaient superbement mal équilibrés. C’est la seule faille.
Le pilote gémit et sembla émerger. Azador lui administra un sédatif pour calmer la douleur et s’assurer qu’il serait plus opérationnel lorsque le temps serait venu de partir.
- Wulfric ne vous a pas choisi que par amitié, dit Azador comme s’il n’avait rien entendu. Je sais comment il réfléchit, j’ai beaucoup lu sur lui voyez-vous. Il a pris cette décision parce qu’il sait que vos capacités de commandement, de coordination, de combat, d’improvisation face à l’imprévu… bref, il vous a pris parce qu’il sait que vous êtes de la graine de capitaine. Ne doutez pas de son choix.
- Je ne connais pas le doute, gronda le Blood Angel à voix basse, souvenez-vous en, mortel.
L’Astartes partit vivement rejoindre ses frères désormais sous ses ordres.
Sur un canal vox privé, il entendit Azador lui dire d’une voix amusée : « Je porte un générateur de champ de force. Mes raisonnements n’ont pas de faille. »
***
Loin, profondément loin sous la surface de poussière jaunie par un soleil mourant, brillait une lueur digne d’être appelée conscience. L’intelligence, la logique pure qui brillait dans les canaux internes de cette fourmilière humanoïde était plongée dans un sommeil si long qu’on pouvait le qualifier d’éternel. Des gardiens muets, mais pas silencieux, de forme arachnoïde à la taille cauchemardesque circulaient en permanence entre les murs sombres qui réfléchissaient pourtant intensément les lueurs vertes qu’elles émettaient.
Malgré l’extrême faiblesse des lueurs présentes, les ténèbres profondes semblaient déchirées et avides de les chasser au nom de la perfection d’un noir total fatalement troublé. Des sarcophages étaient alignés par dizaines de milliers dans les voûtes, les sols, et au cœur de pièces plus centrales aménagées là avec une logique incompréhensible pour des esprits incapables de penser autrement qu’en trois dimensions.
L’air vibrait d’une électricité artificielle qui n’avait jamais cessé d’être émise en plusieurs milliers de millénaires, et des tours, invisibles à ceux qui ne savaient pas regarder, envoyaient avec une régularité parfaite des ondes qui empêchaient le moindre microbe de rester en vie à l’intérieur de cet endroit. A la fois cité et citadelle ; tombeau, et lieu de vie éternelle.
L’une des immenses arachnides se troubla légèrement lorsque la phase multidimensionnelle à laquelle elle était connectée lui appris qu’un léger choc avait enregistré en surface. Cela arrivait régulièrement et était donc répertorié. Météorites ; créatures de la surface s’effondrant au sol, tempêtes… tout cela était banal. Des millions de données arrivèrent dans le cœur même des pensées organisées de chaque gardien, chaque scolopendre, araignée et scarabée métallique qui s’affairait à ce que le repos de leurs maîtres demeure absolu. Instantanément, toute la nécropole sut.
L’impact avait été amorti, là où il aurait forcément dû être plus violent. Une analyse d’une précision mathématique parfaite permit aux capteurs infiniment nombreux des gardiens de retracer la perturbation de l’air dans le sens contraire à celui ayant eu lieu, comme si les insectes au service de ces morts jadis affamés par la vie avaient eu le pouvoir d’observer le temps inversé.
Chute régulière ; forme circulaire ; relevés de composants chimiques inexistants sur ce monde ; impact au sol catégorisé : situation anormale.
Instantanément, des protocoles se déclenchèrent dans les consciences artificielles des centaines de gardiens présents. Leur cœur et les pensées de la planète endormie auraient détecté quelque chose de plus important. Le protocole de réveil minimal ne devait pas être engagé. Pas encore.
Trois longues créatures évoquant à la fois serpent et scolopendre virent leurs protocoles routiniers changer pour devenir un ordre spécifique, précis, nouveau. Obéissant avec la certitude de ceux qui n’ont aucune volonté propre, ils se rendirent là où le soleil était autorisé à briller.
Ce monde était toujours endormi, mais un frémissement venait de le parcourir. Alors que les Marines courraient à sa surface suivis de près par leur mystérieux colis, ils ignoraient qu’il était déjà sur le point d’ouvrir les yeux.