Une cité-tombe était une conscience artificielle à part entière.
Souvent, les princeps qui se retrouvaient aux commandes des Chevaliers Impériaux ou des Titans des Legio de Mars parlaient de la conscience de leur machine, de ses souvenirs puissants, de son âme enchâssée dans le métal et les rouages, et du risque qu'il y avait de perdre son esprit au profit de celui de la machine. Plus grand était le monstre de métal, plus grand était l'effort de volonté.
Ces considérations étaient ridicules face à la connexion que connaissait un Seigneur Nécron et ses subordonnés.
Lié d'une façon bien plus subtile qu'un simple attachement neural à chaque créature de sa cité, un commandant de cette race xénos était pour ainsi dire l'âme incarnée de la planète. Du simple Guerrier aux terribles Factionnaires, tous étaient dépendants de sa volonté comme l'aurait été une arme dans sa main, et ce malgré tous les niveaux d'indépendance dont pouvait disposer les Nécrons les plus évolués n'étant pas des Seigneurs. Les "pensées" internes de la conscience qui gérait la ville enfouie répondaient et ordonnaient aux Spectres, aux Mécarachnides, et même aux simples Scarabées à chaque seconde. Une synergie parfaite entre les milliards de capteurs de la cité et ses défenseurs. Tel un corps pouvant ordonner à ses propres cellules chacune de leurs actions, la cité-tombe était le piège le plus mortel de la galaxie, à l'exception de l'intérieur d'un Vaisseau-Ruche, d'un campement Ork, ou d'une invitation à boire d'un Space Wolf.
Lorsqu'un Seigneur faisait le choix de perdre une partie de sa propre conscience pour se lier à sa cité, il en devenait une partie intégrante et pouvait savoir et ressentir tout ce que la cité savait et ressentait.
Aussi, lorsque le commandant de la planète fut plongé dans une zone hors de l'espace et du temps, la cité entière
vacilla.
Vaincre un Nécron, quel qu'il soit, n'était jamais chose facile. Leur capacité à se remettre de dégâts irréversibles était proprement extraordinaire et fascinait le Mechanicum dans des proportions souvent jugées malsaines par les autorités inquisitoriales. Même une fois vaincu, les combattants des ost métalliques étaient alors téléportés au sein de leur monde d'origine pour y être réparés, par des technologies internes capables de distordre la matière même de l'espace physique, infiniment plus fiables que les téléporteurs humains dépendant du Warp.
C'était sur la perfection technologique des Nécrons qu'avait reposé toute cette opération, entièrement orchestrée par Azador. Si vaincre un Seigneur au sein même de son monde était virtuellement impossible à moins de faire sauter la planète entière, l'enfermer dans une zone confinée hors du temps lui-même était une possibilité, une chance de capturer un spécimen.
Nul doute qu'à long terme il leur aurait filé entre les doigts : les téléporteurs internes des Seigneurs étaient les plus fiables et les plus réactifs malgré le temps s'écoulait dans les champs de stase à une lenteur confinant un mouvement d'un centimètre à une année complète. Il aurait finit par s'échapper, au bout de quelques mois, sûrement. Mais pour l'heure il était bien prisonnier, sans même en avoir conscience, et sa cité était revenue brutalement à des protocoles basiques, coupée de son influence comme un vaisseau soudainement privé de Navigator.
Si cette théorie basée sur des bribes d'observation s'était avérée être fausse, tous auraient été annihilés.
A présent qu'ils fuyaient le plus vite possibles, chargés de leur précieux colis, ils ignoraient combien de temps la conscience de la cité mettrait à pleinement se remettre de cette séparation brutale et impossible à programmer. Wulfric avait voulu prendre avec lui le cadavre de Quintus mais n'en avait pas eu le temps : une Mécarachnide prise d'une frénésie meurtrière relevant plus de l'anomalie de programmation qu'autre chose s'était jetée dessus et l'avait démembrée avant que le capitaine n'ait pu faire quoi que ce soit. L'horreur arachnoïde avait été abattue, ce qui n'avait soulagé la colère d'aucun d'entre eux.
Revenant exactement sur leurs pas, poursuivis par les combattants de l'ost qui leur tiraient dessus de façon erratique, les membres de la Deathwatch appréhendaient particulièrement le fait qu'ils se rapprochaient de la pièce où ils avaient manqué d'être piégés. Tenaka ne répondait pas à leurs appels depuis longtemps à présent.
Eriksson avait tenu a assurer l'arrière garde, le poste le plus dur à tenir quand on est poursuivi, et ce malgré ses blessures.
Gregor continuait d'user de sa force physique au dessus de la moyenne pour compenser la perte des deux serviteurs qui portaient le caisson, tandis que Wulfric et Ryanor ouvraient la marche aussi vite que possible. Sandro et Ambrosius s'efforçaient de soutenir le Carcharodon mais l'étroitesse du couloir était un frein permanent à toute aide efficace.
- Allez venez ! hurla le Eriksson. Je n'en ai pas encore eu assez ! Ramenez votre ferraille sous ma lame !
Les Nécrons ne lui répondirent que par des tirs qui percèrent son armure déjà fortement endommagée.
- Tenaka ! Réponds mon garçon ! Nous sommes en approche bon sang ! criait Wulfric de son côté.
- Pas la peine d'insister, capitaine, dit finalement Sandro en vidant son dernier chargeur avant d'être heurté par une décharge qui arracha son épaulière argentée.
Il grogna de douleur et verrouilla son pistolet bolter contre sa hanche avant de récupérer son épaulière de sa main libre en la brandissant comme un bouclier, dégainant du même coup son glaive énergétique.
Ils arrivèrent au détour d'un couloir à l'odeur singulière, marquée d'ozone. Tenaka y gisait, inconscient ou mort, nul n'aurait pu le dire, quoique le sang qui recouvrait le sol était un bon indice. A côté de lui se trouvait la carcasse d'une Mécarachnide criblée de bolts, encore crépitante d'énergies inconnues.
- Ryanor, couvre moi. ordonna Wulfric en se jetant au chevet du Mantis Warrior.
Les systèmes internes de son armure étaient coupés, probablement détruits par les multiples dégâts reçus, transformant la formidable protection en simple cage de métal. Wulfric arracha directement de ses gantelets la plaque pectorale déchirée de tous côtés, impressionné en constatant que Tenaka respirait encore. Rejoint par Sandro, le diagnostique fut sans appel.
- Aucune chance qu'il tienne jusqu'à la navette ! Il est déjà plus mort que vif.
- Je vais le porter, trancha Wulfric.
- C'est inutile ! cria le Blood Angel. Regarde le bon sang ! Mon frère, sa perte en plus de celle de Quintus est une tragédie que nous n'avons pas le temps de pleurer. Laisse le ici !
- Je peux cautériser sa plaie avec le kit d'urgence, ça ne prendra que deux minutes.
- Nous n'avons PAS deux minutes ! vociféra avec rage le Blood Angel comme touché par la fureur divine de son père génétique en personne. Il sera déjà miraculeux qu'on s'en sorte par nous-mêmes !
- Partez devant en ce cas ! Sitôt ce crétin cautérisé je vous rejoins ! Prends la tête, Sandro, et ne me fais pas honte en désobéissant ! C'est un ordre !
- Je... Tu ne peux...
- Le capitaine a donné ses instructions, l'interrompit Ambrosius en libérant des tirs précis de son propre pistolet bolter. Il faut se dépêcher. Le mortel est à bout de forces et Gregor ne tiendra pas ce foutu caisson éternellement, sans compter que les autres serviteurs de portage ont été endommagés par plusieurs tirs, et la sortie est encore loin.
- Sois maudit de m'imposer ça ! cria Sandro la fureur dans l’œil. Tu ne tiendras pas tout seul !
- Je reste, gargouilla Eriksson depuis son horrible blessure au visage. Je couvres ses arrières et les vôtres pendant qu'il soigne l'estropié.
- Je n'ai pas besoin de toi Eriksson, file avec les autres !
- Essaye de me forcer, chacal de Fenriss !
Azador aurait voulu les convaincre tous les deux que tout cela était peine perdue, mais il ressentit ce que tous éprouvaient et n'eut pas le cœur de salir cet instant par un pragmatisme malvenu.
Belle mort à vous, dit-il à voix basse dans son masque alors que le groupe se remettait en route, laissant les trois Astartes derrière eux.
***
- As tu bientôt fini ?! vociféra le Carcharodon en un gargouillis ignoble dû à son visage ravagé. Cela prend plus de temps que pour recevoir une réponse claire de l'Administratum !
- Il ne saigne plus et c'est tout ce que je peux faire ici ! répondit Wulfric haletant, après avoir reçus plusieurs tirs qui avait occasionnés des blessures superficielles. Nous pouvons...
Ils le virent en même temps. Un Spectre se ruait sur eux en passant à travers ses alliés comme s'ils n'existaient pas, rendant justice au nom dont les humains avaient affublé ceux de son genre. Ils disposaient au mieux de quelques secondes avant qu'il ne soit sur eux, et les simples guerriers continuaient leur feu nourri, bien que désordonné.
Wulfric, encore à genoux, venait tout juste de mettre le Mantis Warrior sur son épaule. Ils n'auraient jamais le temps de distancer une de ces horreurs même en pleine forme et sans chargement ; dans leur état actuel cela revenait à faire la course avec un Land-Speeder en sautant sur un seul pied.
- Capitaine. Je ne t'aime pas. Vraiment.
- Mais... Moi non plus je ne t'aime pas espèce de...
- Bien, répondit simplement Eriksson, parce que... Je ne voudrais pas que tu te méprennes sur ce qui va suivre.
Puis il se jeta en avant, encaissant plusieurs tirs sans broncher alors que ses blessures d'une gravité déjà exceptionnelle auraient dû être suffisantes pour l'immobiliser des heures.
Wulfric avait juste eu le temps de se remettre debout, et ce fut sans se retourner qu'il s'engouffra dans la pièce où ils avaient manqués d'être éradiqués, trop heureux que les portes soient encore perturbées sous l'effet de l'arme de l'interrogateur.
- Sois maudit ! hurla-t-il en franchissant les étroits passages tout en essayant de ne pas trop cogner le frère qui reposait sur son épaule. C'était MA fin glorieuse, Eriksson ! La MIENNE !
Le Carcharodon ne répondit pas, et Wulfric sut pourquoi sans avoir à regarder.
***
Il courait, épuisé, au sein des couloirs, persuadé que la maigre avance qu'il avait put prendre sur ses poursuivants ne serait pas suffisante. La cité s'était remise de la brutale rupture d'avec l'esprit de son chef, et elle concentrait désormais pleinement ses forces et pensées vers eux sans plus défaillir.
Les quelques rafales qu'il avait eu à essuyer depuis les couloirs adjacents s'étaient avérées être plus précises à chaque volée. Si cela était le plus faible niveau de discipline dont ces saloperies Xénos étaient capables, songeât le capitaine, le seul fait de penser les éliminer complètement de la galaxie un jour était un espoir de fou.
Un groupe s'interposa entre lui et la prochaine sortie qu'il devait prendre et il leur fonça dessus sans même ralentir, Tenaka toujours sur son épaule, sa hache énergétique dans sa main droite. Il taillada à tout-va sans regarder où il frappait, et continua sa route en sachant très bien qu'il n'avait pas éliminé tous ses ennemis. Il était certain de pouvoir les prendre de vitesse. Ce fut là sa plus terrible erreur.
Un tir percuta violemment son pack dorsal et lui vida l'air des poumons, le projetant en avant, alors qu'il lâchait son frère toujours inconscient. Il eut tout juste le temps de rouler et de se relever, hache en main, pour retourner sur ses pas malgré la douleur. Un autre tir de fission lui perfora l'armure juste au dessus du poumon droit, et un second manqua son cœur principal de très peu. Il démembra malgré tout les deux monstres survivants avec toute la hargne qu'il lui restait.
- Pour Grimnar, Russ et l'Empereur !
Il n'eut pas le temps de les voir toucher le sol. Deux Spectres venaient de faire leur apparition, et ils le frappèrent assez violemment pour le faire sombrer dans les abîmes d'une terrible demie-inconscience. Couché sur le sol, presque sourd et la vision brouillée, il constata qu'il ne ressentait plus la moindre douleur et sut que cela était très mauvais signe.
Le visage ignoble et profondément inexpressif de l'abomination mécanique se planta devant le sien, et il devina que sa fin serait rapide.
Tenaka, Quintus, Eriksson et moi... Un bien lourd tribu pour le plan de ce...***
La créature de métal s'approchait avec la gracieuse lenteur d'un serpent prêt à mordre, comme s'il savourait l'instant, bien qu'il n'en fût rien. Il était juste assez bien programmé pour comprendre que sa proie était hors de combat et analysait donc au maximum ce que ses sens artificiels lui renvoyaient afin d'intégrer ces nouvelles données à la Nécropole. Cela pouvait s'avérer utile, un jour.
Puis il s'effondra, frappé par une large épée énergétique, proprement découpé en deux. D'autres coups suivirent et ils fut mis en pièces, avant que son homologue n'ait put intervenir.
Wulfric, dans un ultime effort, parvint à se redresser, et eut du mal à croire ce qui se passait devant ses yeux.
le Black Templar bougeait avec une vitesse, une grâce impossible semblant mélanger les danses les plus complexes avec les pas du guerrier le plus aguerri, son énorme lame semblant ne rien peser dans sa main là où un Astartes standard aurait sans doute eut du mal à la soulever sans effort. Le Spectre avait projeté vers lui un câble destiné à gêner ses mouvements, qu'il parvint à saisir de sa main libre avant d'abattre sa lame vers lui. Mais elle le traversa sans lui faire de dommages, comme lors de leur premier affrontement, et le pistolet fixé au torse du monstre libéra une décharge qui projeta Ambrosius tout près de son capitaine. Déjà debout, il n'eut que le temps de voir la décharge de plasma percuter le visage de la créature, et son œil cyclopéen fondre alors que le corps entier était secoué de spasmes électriques déments.
Tenaka avait tiré.
Après s'être assurés qu'aucune autre menace n'était présente dans l'immédiat, ils se précipitèrent vers le blessé.
- Tu n'avais pas cette arme en partant, dit Ambrosius sans ambages.
- C'est le pistolet d'Eriksson, dit Tenaka en grimaçant sous la douleur qui l'assaillait de nouveau. Il était fixé à ma hanche. J'ignore ce que...
- On en discutera plus tard, ordonna Wulfric.
Portant tous les deux le Mantis Warrior sur une de leur épaules, ils coururent vers la sortie qu'ils savaient proche désormais.
- J'avais ordonné à tout le groupe d'avancer, dit Wulfric alors qu'ils voyaient la lumière du jour au bout du tunnel. Peux-tu me dire ce qui s'est passé, Ambrosius ?
- Les autres ont atteint le bout du couloir il y a cinq minutes. Dès que j'ai vu la lumière j'ai... rebroussé chemin. J'ai désobéi.
- Sans blague, dit le capitaine en riant et toussant en même temps. Et quel effet ça fait ? C'était bien la première fois de ta vie, non ?
- Oui, répondit le croisé de Dorn, sans aucun humour. C'était très désagréable.
- Tu verras, on s'y habitue, le pire étant de commander, termina-t-il en sentant l'air frais frapper son visage de plus en plus nettement.
- Pourquoi ? demanda Ambrosius.
- Désobéir aux ordres d'un autre ça ne dérange jamais tant que ça, passé un certain point. Mais quand tu ne suis pas tes propres instructions, c'est là que tu commences vraiment à...
Cette phrase n'eut pas de fin.
Au dehors, une tempête de sable à nulle autre pareil faisait rage. Des Mantas volaient en tous sens, leurs dents immenses semblant prêtes à fondre sur tout ce qui émergerait de la crypte, et le groupe n'était visible nulle part.
Et derrière eux, dans le couloir, des sons qu'ils commençaient à trop bien connaître résonnaient.